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XÉNOPHON, LIV. VII.

ce moment pour vous défaire au plus vite de moi. Ô vous qui vous piquez d’avoir tant de mémoire, ce n’était pas ainsi que vous me traitiez lorsque vous étiez dans des circonstances critiques et malheureuses ; vous m’appeliez alors votre père, vous me juriez de vous souvenir toujours de moi comme de votre bienfaiteur. Que dis-je ! ces Lacédémoniens mêmes qui viennent vous proposer de les suivre, ne sont pas si déraisonnables, et je suis convaincu qu’ils n’en concevront pas une meilleure opinion de vous en voyant comment vous en usez avec moi. » Xénophon cessa alors de parler.

Charmin, l’un des Lacédémoniens, se leva, et dit aux Grecs : « Soldats, je ne crois pas que vous ayez un juste sujet d’être irrités contre ce général ; je puis moi-même déposer en sa faveur ; car lorsque Polynice et moi nous avons parlé de Xénophon à Seuthès, » et lui avons demandé quel homme c’était, il nous a répondu qu’il n’y avait d’autre reproche à lui faire que d’aimer trop le soldat, et qu’il en était plus mal avec lui-même Seuthès et avec les Lacédémoniens. » Euriloque de Lusie, Arcadien, se leva ensuite, et dit : « Lacédémoniens, vous êtes nos généraux : la première affaire dont vous devez, selon moi, vous occuper, est de nous faire payer par Seuthès de gré ou de force la solde qui nous est due, et de ne nous pas faire sortir auparavant de ses états. » Après lui Polycrate Athénien se leva pour parler en faveur de Xénophon, et dit : « Soldats, j’aperçois ici Héraclide ; il a pris le butin qui était le prix de nos fatigues ; il l’a vendu, et n’a remis ni à Seuthès ni à nous l’argent qui en est provenu, mais il l’a volé et l’a gardé pour lui-même. Si nous faisons bien, nous nous en prendrons à lui, d’autant que ce n’est point un Thrace ; il est Grec comme nous, et s’est rendu coupable envers ses compatriotes. » Ce discours qu’entendait Héraclide, le frappa de terreur ; il s’approcha de Seuthès : « Si nous nous conduisons sensément, lui dit-il, nous nous éloignerons, et ne resterons pas plus long-temps au pouvoir des Grecs. » Ils remontèrent donc sur leurs chevaux, et coururent à toute bride à leur camp ; de là Seuthès envoie Ébozelmius son interprète à Xénophon, exhorte ce général à rester à son service avec mille soldats Grecs, s’engage à lui donner les places maritimes et tout ce qu’il lui avait promis, et lui communique sous le secret qu’il sait de Polynice que si Xénophon tombe entre les mains des Lacédémoniens, Thimbron le fera certainement mourir. Xénophon avait reçu le même avis de beaucoup d’autres de ses hôtes ; on l’avait prévenu que la calomnie ne l’avait pas épargné, et qu’il ferait bien d’être sur ses gardes. D’après ces conseils, Xénophon prit deux victimes et les sacrifia à Jupiter-roi, pour savoir s’il ferait mieux de rester avec Seuthès aux conditions que lui offrait ce prince, ou de partir avec l’armée. Ce dieu lui ordonna de la suivre.

Alors Seuthès porta son camp encore plus loin de celui des Grecs ; ceux-ci cantonnèrent dans des villages, d’où ils devaient gagner les bords de la mer, après s’être approvisionnés de vivres : ces villages avaient été donnés par Seuthès à Médosade. Ce Thrace supporta avec peine de voir les Grecs consommer tout ce qu’ils trouvaient dans sa nouvelle possession ; il prend avec lui environ cinquante chevaux, et l’homme le plus considérable parmi les Odryssiens, qui étaient descendus de leurs montagnes et s’étaient joints à Seuthès. Il s’avance, et appelle Xénophon hors du

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