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XÉNOPHON.

ment sûr, quoique le contraire puisse quelquefois réussir. Il lui importe de réserver pour les plus grands dangers des encouragemens qui obtiennent une confiance absolue.

» — En vérité, mon père, ce que tu dis est sage, et je le mettrai volontiers en pratique. Quant à l’art de rendre les soldats dociles, je crois n’y être pas étranger ; tu m’en as donné des leçons dès mon enfance, en me pliant à l’obéissance et me confiant ensuite à des maîtres qui m’ont fortifié dans cette habitude. Arrivé dans la classe des adolescens, notre gouverneur nous surveillait fortement sur ce point : et d’ailleurs la plupart des lois ne semblent faites que pour enseigner à commander et à obéir. Après avoir beaucoup réfléchi sur cette matière, je vois que le secret le plus efficace pour porter à la subordination est de louer et de récompenser l’obéissance, de punir au contraire et de noter d’infamie les rebelles. — Oui bien, pour obtenir une obéissance forcée : mais pour qu’elle soit volontaire, ce qui est préférable, il est un chemin plus court. Les hommes se soumettent très volontiers à celui qu’ils croient plus éclairé qu’eux‑mêmes sur leurs propres intérêts. Entre mille exemples, vois avec quel empressement les malades appellent le médecin qui leur ordonnera ce qu’ils doivent faire ; vois comme dans un vaisseau tout l’équipage obéit au pilote, comme dans une route le voyageur s’attache constamment à ceux qu’il croit savoir les chemins mieux que lui. Mais si l’on pense que l’obéissance sera nuisible, point de châtiment qui puisse contraindre, point de récompense qui encourage. Quel homme recevrait un funeste bienfait ! — Ainsi donc, mon père, selon toi, pour avoir des hommes obéissans, rien de mieux que de passer dans leur esprit pour être plus sage qu’eux. — Assurément. — Mais comment en peu de temps donner de soi cette opinion ? — Le moyen le plus simple de paraître intelligent, c’est de l’être en effet. Quelques comparaisons te prouveront que je dis vrai. Je suppose que tu veuilles sans talent passer pour bon laboureur, pour bon écuyer, pour savant médecin, pour excellent joueur de flûte, enfin, pour habile dans un genre quelconque, à combien d’artifices te faudra‑t‑il recourir pour établir ta réputation ? En vain tu gagnerais des prôneurs, en vain tu serais muni de ce qui convient à chacun de ces arts ; si tu en imposais d’abord, bientôt la première épreuve mettrait à découvert et ton imposture et ta sotte vanité. — Mais comment acquérir un fonds de connaissances dans une partie qui doit être utile ? — C’est, mon fils, en étudiant tout ce qui est à la portée de l’esprit humain, comme tu as étudié la tactique. Dans ce qui est au‑dessus des lumières et de la prévoyance humaine, tu surpasseras les autres hommes en intelligence si tu consultes les Dieux par l’organe des devins, et si d’ailleurs tu exécutes ce que tu auras jugé le meilleur, car jamais l’homme prudent ne se néglige sur ce point. Au reste, pour être aimé de ceux que l’on commande, ce qui est de la plus haute importance, on tiendra la même conduite que si l’on désirait se faire des amis, je veux dire qu’il faut donner des preuves évidentes de son bon cœur. Je sais, mon fils, qu’on ne peut pas, à cet égard, tout ce qu’on veut ! du moins on se réjouit avec eux du bien qui leur arrive ; on s’afflige du malheur qu’ils éprouvent, on s’empresse à les secourir dans leur infortune ; on leur montre de l’inquiétude sur les périls qui les menacent, on s’occupe du soin de les en garantir : tu leur dois surtout ces marques d’attachement.

» Dans une campagne d’été, il faut qu’on remarque le courage du chef à