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LA CYROPÉDIE, LIV. II.

ne doivent point être égaux. — Qui est-ce, demanda quelqu’un ? — C’est un soldat de ma compagnie qui veut en toute occasion avoir plus que ses camarades. — Veut-il avoir aussi plus de part au travail, demanda un autre ? — Non pas, dit le taxiarque ; j’avoue que je m’étais trompé : il permet, avec beaucoup de complaisance, à qui le veut, de prendre plus de part que lui au travail et à la fatigue. — Je pense, dit Cyrus, que pour avoir un corps de troupes excellent et bien discipliné, il faut réformer tous ceux qui lui ressembleraient : car je remarque que les soldats vont d’ordinaire comme on les mène ; et si les gens vertueux tâchent de porter au bien leurs compagnons, les méchans les entraînent au mal. Ceux-ci même ne réussissent que trop souvent à grossir leur parti : secondé de la volupté, le vice marchant dans des routes fleuries séduit la multitude, tandis que dans ses sentiers escarpés la vertu n’a rien d’attrayant, surtout lorsque des pervers l’invitent à suivre une pente douce et facile. Si donc parmi nos soldats il s’en trouve qui ne soient que mous et paresseux, je les assimile à des frelons qui consomment en pure perte une partie des vivres ; mais ceux qui étant mous au travail exigent impudemment un bon salaire, sont d’un pernicieux exemple : comme leur perversité est souvent heureuse, il en faut absolument purger l’armée. N’examinez pas si vous aurez des soldats perses pour compléter vos compagnies. Quand vous avez besoin de chevaux, vous cherchez les meilleurs, sans vous informer s’ils sont de votre pays : choisissez de même, chez les autres nations, les hommes qui vous paraîtront les plus propres à vous fortifier et à vous faire honneur. Pour démontrer par des exemples l’avantage de cette pratique, voyez un char : attelé de chevaux pesans, il n’a qu’une marche lente, et sa marche sera mal réglée si les chevaux sont de force inégale. Une maison ne peut être bien administrée par de mauvais serviteurs : il serait moins fâcheux d’en manquer que d’en avoir qui la ruinent. Sachez, mes amis, qu’en renvoyant les mauvais sujets, non seulement on gagne d’en être débarrassé, mais de plus, parmi ceux qui nous resteront, ceux qui commencent à se corrompre reprendront leur ancienne pureté. Enfin, la note d’infamie dont on aura flétri les méchans deviendra pour les bons un nouvel encouragement à la vertu. » Ainsi parla Cyrus ; toute l’assemblée goûta son avis et s’y conforma.

Cyrus voulait égayer de nouveau la société : s’étant aperçu qu’un taxiarque amenait avec lui et faisait asseoir sur le même lit un homme à longue barbe, extrêmement laid, il lui adresse la parole : « Sambaulas, est-ce pour sa beauté, qu’à la mode des Grecs, tu mènes partout ce jeune homme qui est à table à côté de toi ? — J’avoue, répondit Sambaulas, que j’ai beaucoup de plaisir à le voir et à vivre avec lui. » À ces mots, tous les convives regardent le personnage en face : la vue, de son excessive laideur excite un rire général. « Au nom des Dieux, Sambaulas, dit quelqu’un, qu’a donc fait cet homme pour mériter de toi une telle affection ? — Je vais vous le dire : en quelque temps que je l’aie appelé, soit le jour, soit la nuit, il n’a jamais allégué de prétexte pour s’en dispenser ; il est venu non à pas lents, mais courant de toute sa force : quelque ordre que je lui aie donné, il l’a toujours exécuté avec la plus grande diligence : il m’a formé les autres dizainiers sur son modèle, non par des paroles mais par ses exemples. — S’il est tel que tu le dépeins, dit un des convives, tu devrais l’embrasser comme on embrasse ses parens. — Il n’en fera rien, repartit le hi-