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LA CYROPÉDIE, LIV. IV.

un vil et chétif animal, et que lorsqu’il s’agit du bonheur de la vie entière, on nous vît négliger nos devoirs en cédant à des obstacles qui arrêtent des lâches, mais dont triomphent les braves. » L’assemblée approuva ce que venait de dire Hystaspe à l’appui du discours de Cyrus. « Puisque nous sommes tous du même avis, ajouta le prince, que chaque capitaine envoie, par escouade, cinq soldats des plus intelligens parcourir le camp, pour encourager par des éloges ceux qu’ils verront occupés à pourvoir à nos besoins, et punir sévèrement, avec l’autorité d’un maître, ceux qu’ils trouveront oisifs. » Les officiers exécutèrent cet ordre.

Chap. 3. Cependant il était arrivé quelques détachemens mèdes. Les uns, ayant atteint dans la route des chariots chargés de munitions, qui étaient partis du camp ennemi avant le jour, les forçaient d’y retourner ; les autres revenaient de même, avec des chariots remplis de très belles femmes, soit épouses, soit concubines, que pour leur beauté les Assyriens menaient avec eux. C’est encore aujourd’hui la coutume des peuples de l’Asie, lorsqu’ils vont à la guerre ; ils se font suivre de ce qu’ils ont de plus précieux : ils disent qu’à la vue de ce qui leur est cher, ils combattent plus vaillamment, et sentent la nécessité d’une vigoureuse défense. Peut-être est-ce là leur motif ; peut-être aussi l’amour du plaisir y entre-t-il pour beaucoup.

Cyrus, en voyant ce qu’avaient fait les Mèdes et les Hyrcaniens, ressentit presque du dépit contre lui-même et contre ceux qui l’entouraient : la bravoure des Perses, contraints de rester dans l’inaction, lui semblait effacée par celle des alliés. Ceux qui amenaient le butin au camp, le lui montraient, et retournaient aussitôt à la poursuite des ennemis, suivant l’ordre qu’ils disaient avoir reçu de leurs chefs. Cyrus, quoique mortifié à la vue des effets qu’on apportait, les fit ranger séparément. Il assembla de nouveau ses taxiarques ; et s’étant placé dans un lieu d’où il pouvait être entendu de tous, il leur tint ce discours :

« Vous jugez, comme moi, que si nous étions maîtres des biens que voici, ils enrichiraient tous les Perses, et nous principalement, qui les méritons par nos travaux : mais je ne vois pas comment nous en emparer, puisque nous serons trop faibles, tant que nous manquerons de cavalerie nationale. Considérez que nous portons des armes propres à mettre en déroute les ennemis que nous combattrons de près : mais quand ils lâcheront pied, comment pourrons-nous, avec de telles armes et sans chevaux, ou faire prisonniers, ou tuer des cavaliers, des archers, des peltastes, des gens de trait, qui fuiront de toutes leurs forces ? Qui les empêchera de fondre sur nous et de nous harceler, sachant que nous ne sommes pas plus à craindre pour eux, que des arbres qui ne sauraient courir. Aussi est-il clair que les cavaliers qui nous accompagnent, croient avoir sur le butin autant, peut-être même plus de droit que nous. Voilà notre situation. N’est-il pas évident que si nous parvenons à nous procurer une cavalerie qui ne le cède pas à la leur, nous pourrons exécuter seuls les entreprises auxquelles nous les associons maintenant, et qu’ils en deviendront beaucoup moins avantageux ! car lorsque nous nous suffirons à nous-mêmes, nous nous embarrasserons peu qu’ils veuillent rester, ou nous quitter. D’après ces raisons, vous sentez tous, je crois, combien il importe aux Perses