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LA CYROPÉDIE, LIV. VII.

du fleuve. Il en établit les fondations sur des pilotis de palmiers, qui n’avaient pas moins de cent pieds de longueur : car ces contrées en produisent de plus grands encore ; et ces arbres ont la propriété de se relever sous la charge, comme les ânes dont on se sert pour porter des fardeaux. Par la solidité de cette construction, Cyrus voulait faire voir aux ennemis qu’il était bien résolu de tenir la place assiégée, et empêcher l’écroulement des tours, quand le fleuve pénétrerait dans la tranchée. Il fit ensuite élever plusieurs autres forts, de distance en distance, sur la terrasse dont elle était bordée, afin de multiplier les corps-de-garde. Les Babyloniens, qui du haut de leurs murs voyaient ces préparatifs de siége, s’en moquaient, parce qu’ils avaient des vivres pour plus de vingt ans. Cyrus, instruit de leur sécurité, divisa son armée en douze parties, dont chacune devait faire la garde pendant un mois. Les assiégés, sur cette nouvelle, redoublèrent leurs railleries, dans la pensée que les Phrygiens, les Lyciens, les Arabes, les Cappadociens, qu’ils croyaient leur être beaucoup plus attachés qu’aux Perses, feraient le guet à leur tour.

Déjà les travaux étaient achevés, Cyrus apprit que le jour approchait où l’on devait célébrer à Babylone une fête durant laquelle les habitans passaient toute la nuit dans les festins et la débauche. Ce jour-là même, aussitôt que le soleil fut couché, il fit ouvrir, à force de bras, la communication entre le fleuve et les deux têtes de la tranchée ; et l’eau s’épanchant dans ce nouveau lit, la partie du fleuve qui traversait la ville, fut rendue guéable. Après avoir détourné le fleuve, Cyrus ordonna aux chiliarques, tant de la cavalerie que de l’infanterie perse, de le venir joindre chacun avec sa troupe rangée sur deux files, et aux alliés, de marcher à la suite des Perses, dans l’ordre accoutumé. Lorsqu’ils furent arrivés, il fit descendre dans l’endroit du fleuve qui était presque à sec, plusieurs de ses gardes, fantassins et cavaliers, pour éprouver si le fond était solide : sur leur réponse, qu’on pouvait passer sans danger, il assembla les chefs de la cavalerie et de l’infanterie, et leur tint ce discours :

« Mes amis, le fleuve nous offre une route pour pénétrer dans la ville : entrons-y avec assurance et sans crainte. Les ennemis contre lesquels nous allons marcher, sont les mêmes que nous avons déjà vaincus lorsqu’ils avaient des alliés, qu’ils n’étaient appesantis ni par le sommeil ni par le vin, qu’ils étaient couverts de leurs armes, et rangés en ordre de bataille. Dans le moment où nous allons les attaquer, la plupart sont ivres ou endormis ; la confusion est générale, et la frayeur l’augmentera encore, lorsqu’ils apprendront que nous sommes dans leurs murs. Quelqu’un de vous craint-il le danger que l’on court, dit-on, en entrant dans une ville ennemie ? craint-il que les assiégés, du haut de leurs maisons, ne nous lancent des traits des toutes parts ? Que ce prétendu péril ranime au contraire votre ardeur. Si les Babyloniens montent sur leurs toits, Vulcain combattra pour nous. Leurs portiques sont de matière combustible ; des portes de bois de palmier, enduites de bitume, prendront aisément feu ; nous sommes munis de torches qui bientôt produiront un grand embrasement ; nous avons de la poix et des étoupes qui communiqueront la flamme avec rapidité ; en sorte que les assiégés ou s’enfuiront précipitamment de leurs