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XÉNOPHON.

que le sien, ne lui permettaient pas de négliger la partie des finances ; de l’autre, que s’il voulait y veiller par lui-même, il ne lui resterait pas, à cause de l’étendue de ses domaines, un seul moment pour s’occuper d’un objet d’où dépendait le salut de l’empire. Comme il cherchait par quel moyen il pourrait à-la-fois bien administrer ses finances et se ménager du loisir, il s’avisa de prendre pour règle de conduite, l’ordre qui s’observe dans les corps militaires. Les dizainiers veillent sur leur dizaine ; ils sont surveillés par les lochages, ceux-ci par les chiliarques, qui le sont à leur tour par les myriarques : en sorte que dans la plus nombreuse armée, il n’est personne qui ne reconnaisse un supérieur ; et quand le général veut la faire agir, il lui suffit d’adresser ses ordres aux myriarques. Cyrus forma sur ce modèle son plan d’administration : ainsi tout se réglait en conférant avec peu de personnes, et il lui restait plus de temps libre que n’en a le chef d’une maison ou le commandant d’un vaisseau. Après avoir établi cet ordre, il engagea ses amis à s’y conformer, et par-là les fit participer au loisir qu’il s’était procuré.

Il s’appliqua dès-lors à rendre les hommes qu’il s’était associés, tels qu’il les désirait. Si quelqu’un d’entre eux, assez riche pour vivre sans être obligé de travailler, manquait de venir à la porte, il lui en demandait la raison. Il présumait que ceux qui s’y rendaient assidûment, étant sans cesse sous ses yeux, ayant d’ailleurs des gens vertueux pour témoins de leur conduite, n’oseraient rien faire de criminel ou de honteux ; et que l’absence des autres avait pour cause, ou la débauche, ou quelques mauvais desseins, ou de la négligence.

Dans cette persuasion, voici comment il s’y prenait pour forcer même ceux-ci à se présenter. Par son ordre, quelqu’un de ses plus intimes amis allait se saisir de leurs biens, en disant simplement qu’il prenait ce qui lui appartenait. Ceux qui étaient dépouillés accouraient pour s’en plaindre : Cyrus feignait long-temps de n’avoir pas le loisir de les entendre ; et quand il les avait entendus, il renvoyait à un terme éloigné l’examen de leur affaire. Il espérait ainsi les accoutumer à faire assidûment leur cour, se rendant moins odieux que s’il les eût contraints par une punition. Voilà son premier moyen pour les rappeler à leur devoir : il en avait encore d’autres, comme de charger des commissions les plus faciles et les plus lucratives ceux qui se rendaient exactement au palais, et de n’accorder aucune grâce à ceux qui y manquaient. Le plus puissant de tous, mais qu’il n’employait que contre celui qui avait résisté aux précédens, était de le dépouiller réellement de toutes ses possessions, pour les donner à d’autres de qui il comptait tirer plus de services ; par-là il remplaçait un mauvais ami par un ami utile. Le prince aujourd’hui régnant en Perse, ne manque pas, lorsque quelqu’un qui doit se trouver à la cour s’en dispense, d’en demander la raison.

Telle était la manière d’agir de Cyrus à l’égard des absens. Pour ceux qui se présentaient régulièrement, il croyait qu’étant leur chef, il les exciterait infailliblement aux actions vertueuses, si toute sa conduite leur offrait des exemples de vertu. Il convenait que les lois écrites peuvent contribuer à rendre les hommes meilleurs ; mais il disait qu’un bon prince est une loi voyante qui observe en même temps qu’elle ordonne, et punit la désobéissance.

D’après ces principes, il commença par le culte divin : il s’en occupa avec d’autant plus de zèle, qu’il était par-