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LA CYROPÉDIE, LIV. VIII.

Il faut, disaient les uns, que le prince ait des richesses immenses, puisqu’il fait à chacun de nous des dons si considérables. Quelles richesses peut-il avoir, disaient les autres ? on sait qu’il n’est pas d’humeur à thésauriser, et qu’il aime mieux donner que posséder. Cyrus, informé de ce qu’on disait de lui et de ce qu’on en pensait, assembla, outre ses amis, tous ceux dont il jugea la présence nécessaire, et parla en ces termes :

« Chers compagnons, j’ai vu des gens qui veulent paraître plus riches qu’ils ne sont ; ils croient par-là s’attirer plus de considération : mais il leur arrive précisément le contraire ; car quiconque affecte l’opulence, et n’aide pas ses amis en raison de ses facultés, n’y gagne qu’une réputation d’avarice sordide. D’autres s’étudient à cacher leur richesse : à mon avis, ceux-ci ne sont pas moins inutiles dans la société, parce que leurs amis mêmes, ne connaissant point leur fortune, et trompés par l’apparence, n’osent souvent leur découvrir leurs besoins. Pour moi, je pense qu’il est d’un homme loyal de laisser voir à découvert ses richesses, et de s’en servir pour signaler sa générosité. Je veux donc exposer à vos yeux tout ce que je possède : je vous rendrai compte de ce que je ne pourrai vous montrer. » Aussitôt il leur fit voir quantité de riches effets, et leur désigna les objets qui n’étaient pas en vue. « Vous devez croire, mes amis, continua-t-il, que tous ces biens sont à vous autant qu’à moi : je les ai amassés, non pour les dissiper, moins encore pour les consumer, je ne le pourrais pas ; mais afin d’avoir toujours de quoi récompenser les belles actions, et de pouvoir secourir ceux d’entre vous qui, se trouvant dans le besoin, auront recours à moi. » Ainsi parla Cyrus.

Chap. 5. Quelque temps après, voyant que l’état de ses affaires à Babylone lui permettait de s’en éloigner, il fit ses préparatifs pour aller en Perse, et commanda qu’on se disposât à le suivre. Quand il se fut muni de tout ce qu’il jugea lui devoir être nécessaire, il partit. C’est ici le lieu de parler de l’ordre avec lequel une armée si nombreuse campait et décampait, et de la célérité de chacun à prendre la place qu’il devait occuper. On sait que quand le roi de Perse campe, tous les courtisans l’accompagnent, et logent sous des tentes l’hiver comme l’été.

Cyrus ordonna d’abord, que l’entrée de la sienne fût toujours au soleil levant, et fixa l’intervalle qui devait la séparer de celles des doryphores. Il marqua le logement des boulangers à sa droite, celui des cuisiniers à sa gauche : il plaça pareillement à sa droite les chevaux, à sa gauche les autres bêtes de somme. Le reste fut réglé de manière que chaque troupe reconnaissait sans peine le lieu et l’espace qui lui étaient destinés. Quand on décampait, chacun ramassait le bagage dont il devait prendre soin, d’autres le mettaient sur les bêtes de somme. Ceux qui les conduisaient, se rendaient tous en même temps aux quartiers qui leur étaient assignés, et chargeaient tous en même temps ; d’en il arrivait que toutes les tentes, soit qu’il fallût les dresser ou les lever, n’exigeaient pas plus de temps qu’une seule. Il en était de même pour les vivres : comme chaque valet avait sa tâche particulière, il ne coûtait pas plus de temps pour tous les mets que pour un seul. Les boulangers et les cuisiniers n’étaient pas les seuls à qui il marquât des places commodes pour leur travail : en distribuant les quartiers aux troupes, il avait égard à l’espèce de leur

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