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stratégie qui sait combiner un plan de campagne, afin d’en calculer les succès et les difficultés.

Tout citoyen était soldat dans ces républiques ; les armées représentaient donc en quelque sorte l’état tout entier. La nature du sol de la Grèce, le peu de richesse de ses habitans, durent les porter à multiplier l’infanterie, et ce corps était composé parmi eux d’hommes tellement animés d’un même esprit, tellement assouplis et préparés par les exercices auxquels ils se livraient continuellement, que l’on peut dire qu’au moral comme au physique, la réunion de ces hommes formait un faisceau indissoluble.

Jamais chez aucun peuple un général n’a dû compter autant sur le simple soldat que chez les Grecs ; jamais aucune société ne fut composée d’hommes individuellement plus parfaits. N’est-il pas étrange que de l’harmonie de ces divers élémens, il ne soit pas résulté une combinaison telle, que l’association politique ait présenté aussi chez cette nation le modèle le plus accompli !

Quoi de plus dangereux cependant que cette coutume des Athéniens qui donnait le commandement de l’armée à dix chefs connus sous le nom de stratèges, et représentant les dix tribus d’Athènes ? L’autorité de ces généraux changeait tous les jours, et vous avez vu qu’à Marathon cette disposition faillit perdre la république. Ces stratèges se tiraient au sort, ce qui faisait dire à Philippe que les Athéniens étaient bien heureux de trouver tous les ans dix hommes en état de commander leurs armées, lorsqu’il n’avait encore pu rencontrer que Parménion pour conduire les siennes.

Le gouvernement démocratique de Lacédémone était enchaîné par des capitaines-généraux héréditaires qu’on y nommait des rois. Mais tout ce qui constitue l’essence de la souveraineté était dans les mains du peuple, qui, pour contenir ses propres rois et réprimer leur ambition, fut obligé de confier aux éphores une autorité si grande, que jamais dans aucune république le premier magistrat ne se vit élevé à un tel degré de puissance. Ce système de contrepoids politique était l’un des principaux vices de cette constitution, où pour se sauver du despotisme, on dut recourir à la tyrannie. En politique, il n’y a point d’équilibre parfait, parce qu’il n’est pas possible de partager également des forces qui sont de nature à croître et à décroître.

Les deux capitaines-généraux de Lacédémone avaient seuls le droit de diriger les opérations militaires, et devenaient dans leur camp de véritables souverains. Aussi les vit-on préférer sans cesse la guerre la plus incertaine à la paix la plus profonde ; car ils se trouvaient bien moins gênés au milieu de leurs troupes, que dans une ville où les magistrats veillaient sur eux, souvent avec une excessive sévérité. Les Lacédémoniens ayant soumis plus tard ces rois au concours de dix assesseurs sans l’aveu desquels ils ne devaient rien entreprendre, on vit alors diminuer leur autorité, jusqu’à ce que Cléomène fit enfin égorger les cinq éphores en plein jour, brisa leur tribunal, anéantit leur nom, et subjugua l’état comme César subjugua Rome.

En négligeant la culture des sciences et des arts, les Lacédémoniens manquèrent une grande partie du but qu’ils voulaient atteindre, c’est-à-dire d’être un peuple vraiment militaire. Comme ils ne cessaient de faire la guerre dans un pays montagneux et rempli de défilés, ils avaient acquis une grande expé-