Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/845

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
844
ARRIEN, LIV. IV.

en composition, avec la facilité de se retirer chez eux ; mais les Barbares se prenant à rire, lui demandent si ses soldats ont des ailes ; qu’ils se croyaient au-dessus de toute atteinte. Irrité de cette réponse superbe, Alexandre, pour satisfaire à-la-fois sa vengeance et sa gloire, résolut d’emporter la place. Il fait publier par un héraut, que le premier de tous qui montera à l’assaut obtiendra douze talens ; le second, le troisième et tous ceux qui leur succéderont, des récompenses proportionnées, jusqu’au dernier, qui recevra trois cents dariques.

Des Macédoniens, excités à-la-fois par leur courage et la récompense, se présentent au nombre de trois cents, choisis parmi ceux exercés à ces sortes de travaux. Ils sont armés de crampons de fer qu’ils doivent ficher dans la glace ou dans la roche, et auxquels ils attachent de fortes cordes. Se dirigeant pendant la nuit du côté le plus escarpé et le moins gardé, à l’aide de ces crampons et d’efforts redoublés, ils arrivent de différens côtés sur le sommet. À cet assaut, trente roulèrent dans les précipices et dans les neiges ; on ne put retrouver leurs corps. Arrivés sur le sommet, les Macédoniens élèvent un drapeau, c’était le signal convenu. Alexandre députe un héraut vers les postes avancés des Barbares pour leur annoncer qu’ils aient à se rendre ; que ses soldats ont des ailes ; qu’ils lèvent les yeux, les hauteurs sont occupées par les Macédoniens. À cet aspect imprévu, s’imaginant que les assaillans étaient en plus grand nombre et mieux armés, les Barbares se rendirent.

Parmi les prisonniers on compta un grand nombre de femmes et d’enfans, entre autres ceux d’Oxyarte ; l’une de ses filles, Roxane, nubile depuis peu, était la plus distinguée des beautés de l’Asie, après la femme de Darius. Alexandre en est épris, et loin d’user des droits du vainqueur sur sa captive, il l’élève au rang de son épouse, action bien plus digne d’éloge que de blâme. Il avait respecté autrefois la femme de Darius, la plus belle de celles de l’Orient, soit indifférence, soit modération, et cela dans la fleur de l’âge, au comble des succès, dans cette situation où les passions ne gardent plus aucune mesure : retenue louable, et que l’amour seul de la gloire pouvait conseiller.

Oxyarte instruit à-la-fois de la captivité de sa famille, et des dispositions d’Alexandre pour sa fille, reprenant l’espérance, vint trouver le prince qui le reçut avec tous les honneurs que sa nouvelle alliance commandait.

Les affaires de la Sogdiane terminées, Alexandre marche vers les Parétaques où les Choriens et les principaux du pays s’étaient réfugiés dans un poste également imprenable ; on l’appelle la roche de Choriène : elle a de hauteur vingt stades et de circuit soixante. Escarpée de toutes parts, on n’y monte que par un sentier étroit et difficile, où peut à peine passer un seul homme : des précipices l’entourent, et avant d’arriver aux pieds de la place, il faut en combler la profondeur. Alexandre n’est que plus animé à son entreprise, rien ne paraît impossible à son courage et à sa fortune : des sapins abondaient aux environs, il les fait abattre ; on en forme des échelles pour descendre dans ces abîmes inaccessibles à tout autre moyen.

Alexandre présidait à l’ouvrage, pendant le jour, à la tête de la moitié de l’armée ; il était relevé la nuit, tour-à-tour, par Perdiccas, Léonnatus et Ptolémée, sous les ordres desquels il avait divisé le reste de l’armée en trois corps.