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ARRIEN, LIV. VI.

matophylax Perdiccas, dans le premier moment et par ordre d’Alexandre, ouvrit la blessure avec son épée, pour en retirer la flèche. Le roi perdit, dans cette opération, beaucoup de sang, dont une seconde syncope arrêta l’écoulement.

Cet événement a donné lieu à plusieurs mensonges historiques, qui se propageront chez la postérité, si mon ouvrage ne parvient à les détruire. L’opinion commune transporte chez les Oxydraques le théâtre d’un fait qui s’est passé certainement chez les Malliens, peuples libres de l’Inde. Les Malliens devaient, à la vérité, se réunir aux Oxydraques pour lui livrer bataille ; mais Alexandre, en traversant le désert, avait prévenu leur jonction.

C’est ainsi que l’opinion égarée place dans les champs d’Arbelle la dernière bataille livrée par Alexandre contre Darius, trahi et tué par Bessus dans sa fuite ; Arbelle est éloigné, selon les témoignages les plus authentiques, de cinq à six cents stades du champ où se livra cette bataille, qui eut lieu près de Gaugamelle et du fleuve Bumêlus, au rapport de Ptolémée et d’Aristobule. Mais Gaugamelle n’est qu’un bourg misérable, dont le nom inconnu est peu harmonieux : on préféra le nom sonore d’Arbelle, ville célèbre et considérable. En se permettant ces licences, il faudra donc transporter notre victoire navale de Salamine à l’Isthme de Corinthe, et celle d’Artémise, dans l’Eubée, à Égine ou à Sunium. Les journées d’Issus et du Granique n’ont pas donné lieu à de pareilles erreurs.

Les historiens s’accordent à nommer Peucestas comme le premier de ceux qui couvrirent Alexandre de leurs boucliers ; ils varient dans leurs rapports sur Léonnatus et Abréas, et sur la nature de la blessure d’Alexandre. Quelques-uns avancent que, frappé d’un bâton sur la tête, il tomba étourdi sous le coup, et en se relevant fut blessé d’une flèche dans la poitrine ; Ptolémée ne rapporte que cette dernière particularité. L’erreur la plus grave des historiens est de mettre Ptolémée au nombre des premiers qui, montant avec Alexandre sur le rempart, le couvrirent de leurs boucliers : ils ont même ajouté que cette action valut à Ptolémée le titre de Sôter, et Ptolémée raconte lui-même qu’il ne s’y est pas trouvé, occupé qu’il était ailleurs contre les Barbares. Qu’on me pardonne cette digression dont le but est de rendre ceux qui écriront l’histoire après nous, plus circonspects sur le choix et l’exposition des faits.

Pendant qu’Alexandre faisait panser sa blessure, le bruit de sa mort se répandit dans tout le camp ; la désolation, les gémissemens sont universels, l’inquiétude et la consternation leur succèdent. « Lequel de tant de chefs également dignes de lui succéder, au jugement d’Alexandre et au nôtre, prendra le commandement de l’armée ? comment retourner dans notre patrie à travers tant de nations belliqueuses dont les-unes ne sont point soumises, et combattront avec le dernier acharnement pour la liberté, et dont les autres se soulèveront aussitôt qu’elles n’auront plus à craindre Alexandre ? Comment traverser tant de fleuves immenses ? quelle ressource, quel parti nous restent-ils ? Alexandre n’est plus. »

On leur annonce qu’Alexandre vit encore ; ils ne peuvent le croire. Ils rejettent toute espérance ; Alexandre écrit lui-même qu’il paraîtra bientôt dans son camp ; la crainte et la douleur les font douter de tout. Ce sont, disent-ils, des lettres supposées par ses officiers.

Alexandre, instruit de ce trouble et