Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/879

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
878
ARRIEN, LIV. VI.

pas de l’armée, en recueillirent une grande quantité ; les arbres qui la produisent étant là beaucoup plus grands qu’ailleurs, et n’ayant jamais été dépouillés.

On y trouve également beaucoup de nard ; les Phéniciens s’en chargèrent ; l’armée le foulait aux pieds, et l’air en était embaumé. Cet historien ajoute qu’on y voyait des arbres dont la feuille ressemble à celle du laurier ; qu’ils naissent aux bords de la mer dans des bas fonds, souvent inondés par les eaux au milieu desquelles ils croissaient ; qu’ils avaient trente coudées de haut, et étaient alors en fleur ; et que cette fleur, semblable à la violette blanche, exhalait un parfum beaucoup plus doux. Qu’on y rencontre une plante armée d’épines si fortes, que si le vêtement d’un cavalier s’y accroche en passant, celui-ci se trouve entraîné de son cheval. Ne va-t-il pas jusqu’à raconter que le poil des animaux s’y empêtre, et qu’ils y restent pris comme l’oiseau à la glu, le poisson à l’hameçon ; que cependant la tige cède facilement au fer, et épanche un lait plus abondant, mais plus âcre que celui du figuier.

Alexandre s’avance malgré la difficulté des chemins et le défaut de subsistances : l’eau manque, l’armée est obligée de marcher pendant la nuit, et de s’écarter des côtes qu’Alexandre désirait suivre, pour reconnaître les rades, approvisionner la flotte, creuser des puits, construire des ports : cette côte n’est qu’un désert. Il détache vers le rivage, pour s’assurer de ces objets, Thoas avec quelques chevaux. Celui-ci découvre quelques pêcheurs sous de misérables cabanes, formées de la dépouille des crustacés et de squelettes de poissons. Ces pêcheurs fouillaient le sable, et en retiraient avec peine un peu de mauvaise eau.

Parvenu dans un lieu fertile en crains, Alexandre en rassemble une quantité qu’il fait charger et conduire vers la mer, après l’avoir scellé de son anneau. Pressés par une faim dévorante, dont l’aiguillon l’emporte sur toute autre considération, les soldats, et même ceux qui gardaient les provisions, se les partagent sans respecter le sceau d’Alexandre. Il était alors absent, et occupé à reconnaître une station. Il leur pardonne à son retour : la nécessité fut leur excuse.

Après avoir fourragé tout le pays, il envoya ses nouveaux approvisionnemens, sous la conduite de Créthéus Callatianus, vers sa flotte ; il commande aux indigènes d’amener des grains, des dattes, des bestiaux ; Télèphe, un des Hétaires, à la tête d’un léger convoi de farines, est détaché vers un autre point.

Alexandre s’avance vers Pura, capitale des Gédrosiens, où il arrive soixante jours après avoir quitte Ores. Au rapport des historiens, tous les maux que l’armée avait soufferts en Asie, ne pouvaient se comparer à ceux qu’elle éprouva dans ce voyage. Alexandre, lui-même, si l’on en croit Néarque, n’en ignorait point les dangers ; il savait qu’aucune armée n’en était revenue. Selon les habitans, Sémiramis, fuyant des Indes, n’en avait ramené que vingt hommes ; et Cyrus, qui avait tenté l’invasion de ces contrées, avait eu peine à en sortir, lui huitième, après avoir vu son armée ensevelie dans ces déserts. Ce récit ne fit qu’enflammer Alexandre, qui voulut faire plus que Cyrus et Sémiramis. Ce fut dans ce dessein, et pour approvisionner sa flotte, qu’Alexandre donna cette direction à son retour.

Une grande partie de l’armée et surtout les bêtes de somme, y périrent de l’excès de la chaleur et de la soif ; ils étaient arrêtés par des montagnes de