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ARRIEN, LIV. VII.

tion. Ptolémée et Aristobule, sur lesquels je me règle, n’en parlent point. Il ne convenait point à la république romaine, qui jouissait alors de la plus grande liberté, d’envoyer si loin une députation vers un roi étranger, dont elle n’avait rien à espérer ni à craindre : ajoutez-y sa haine, alors dans toute sa force, contre la tyrannie.

Alexandre envoie en Hyrcanie Héraclide et des ouvriers pour y construire, avec les bois dont le pays abonde, des vaisseaux longs, partie fermés, partie à découvert, comme les bâtimens grecs. Il devait reconnaître la mer Caspienne, savoir si elle est réunie au Pont-Euxin, ou si, comme le golfe Persique et la mer Rouge, elle était un épanchement de l’Océan. En effet, on ne connaissait point encore son origine, quoique ses bords fussent habités, et qu’elle reçût plusieurs fleuves navigables, parmi lesquels est l’Oxus le plus grand de l’Asie, après ceux de l’Inde, et qui coule par la Bactriane ; l’Oxyarte, qui traverse la Scythie ; l’Araxe qui arrose l’Arménie, fleuves considérables et auxquels se mêlent une infinité d’autres, dont une partie ont été découverts par Alexandre, et dont l’autre nous est inconnue, et se trouve au-delà chez les Scythes nomades.

Alexandre, après avoir passé le Tigre, approchait de Babylone, lorsque les prêtres chaldéens vinrent au-devant de lui, et l’avertirent en secret de suspendre sa marche ; que l’oracle de Bélus y marquait son entrée sous des auspices funestes. Il leur répondit par un vers d’Euripide :

Le plus heureux présage est de tout espérer.

Mais les Mages : « Du moins, prince, ne vous avancez point du côté de l’Occident ; faites faire un détour à votre armée, et prenez la route de l’Orient. »

La difficulté des chemins l’empêcha de la prendre ; la fatalité le poussant ainsi dans la voie qui devait lui être funeste. Et peut-être fut-il heureux d’expirer au sein de la grandeur et des regrets universels, avant que d’éprouver quelques-uns de ces revers attaches à l’humanité. C’est ce qui faisait dire par Solon à Crésus : « Attendons la mort » pour prononcer sur le bonheur de l’homme. »

La mort d’Héphæstion fut un des coups les plus sensibles pour Alexandre ; il aurait mieux aimé sans doute le précéder dans la tombe, que de lui survivre : et c’est ainsi qu’Achille aurait préféré mourir avant Patrocle à la triste consolation de le venger.

Alexandre soupçonnait que les Chaldéens, par cet oracle qui l’éloignait de Babylone, cherchaient moins à le servir qu’eux-mêmes. En effet, le temple de Bélus, élevé au milieu de la ville, remarquable par sa grandeur et sa construction que formaient des briques cimentées avec du bitume, ayant été détruit, ainsi que beaucoup d’autres temples, par la fureur de Xerxès à son retour de la Grèce, Alexandre avait formé le projet de le relever sur ses ruines, avec plus de grandeur. Les Babyloniens avaient reçu l’ordre d’en nettoyer l’aire. L’ouvrage languit dans l’absence du conquérant ; il résolut d’employer à ce travail toute son armée. Les rois d’Assyrie avaient assigné au service du temple de Bélus des terrains et des sommes considérables. Ces revenus n’ayant plus leur primitive destination, passaient aux Chaldéens qui devaient en perdre la plus grande partie par la restauration du temple. Ce motif parut au prince celui de leur démarche.

Au rapport d’Aristobule, Alexandre, cédant à leurs observations, voulut tourner la ville, et campa le premier jour