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au dictateur Junius. L’histoire romaine prouve, par plusieurs exemples, que ces légions pouvaient être prêtes en quatre jours.

Ajoutons que le sénat fit acheter huit mille esclaves ; qu’il délivra les prisonniers pour dettes, et même ceux que l’on détenait pour des crimes ; qu’il encadra les troupes du Picenum et de la Gaule Sénonnaise ; enfin, qu’aucun des alliés n’avait encore quitté le parti des Romains, aucune des trente colonies ne refusait son secours, ce qui permettait de faire des levées extraordinaires en Italie, et allait obliger tous ses habitans de concourir à la défense de la capitale. Là encore se trouvaient des hommes tels que Fabius, Marcellus, Gracchus, dont l’influence sur l’esprit public était immense, et qui ne seraient pas restés oisifs derrière les remparts de la patrie. Le refus que fit le sénat de racheter les prisonniers, prouve bien qu’il connaissait toutes ses ressources.

Quelle eût été cependant la situation d’Annibal ? Obligé de commencer un siége, il fallait d’abord tirer de ses trente-deux mille hommes d’infanterie de quoi former un corps d’observation, afin de ne pas se laisser bloquer lui-même. Il ne pouvait se dispenser non plus de laisser des garnisons dans les villes où étaient ses dépôts et ses magasins, à moins de s’exposer à la famine ; c’était d’ailleurs le seul moyen d’assurer une retraite à tout événement, et cette retraite demandait encore du monde pour garder les postes et les passages.

Annibal apprécia mieux sa position, le grand caractère des Romains, et le fruit qu’il pouvait tirer de sa victoire. Au lieu de s’exposer à tout perdre par une opération dont le brillant ne cachait pas à ses yeux l’imprudence, il s’occupa de se faire des alliés.

L’histoire ne parle pas de ses négociations ; mais elle nomme parmi les peuples qui s’unirent à lui, presque tous ceux qui habitaient la Grande-Grèce, le Samnium et la Campanie. Ces alliances lui fournirent les moyens de se soutenir près de quatorze années en Italie, et il n’eût pu obtenir davantage en marchant sur Rome, alors même qu’une simple démonstration aurait suffit, comme tant d’écrivains le pensent, pour fixer les irrésolutions de plusieurs villes, et les rattacher à sa fortune.

Mais conçoit-on l’ineptie des Carthaginois de ne pas lui avoir expédié, de suite, tout ce qu’ils avaient de disponible en troupes et en argent ! La destinée du peuple Romain semble avoir tenu à l’exécution plus ou moins prompte des ordres du sénat de Carthage.

Sur la demande d’Annibal, ce sénat avait consenti à augmenter l’armée d’Italie ; la jalousie sotte et basse de quelques-uns de ses concitoyens parvint à retarder les secours qui étaient accordés. Ainsi, par la faute de Carthage, l’action mémorable de Cannes ne fut plus qu’une boucherie dont Rome savait bien qu’elle tirerait un jour vengeance.

Le génie d’Annibal dut entrevoir le désastre de sa patrie, lorsqu’il ressentit l’effet de ces lenteurs ; car il en devina les motifs ; et Rome, non moins éclairée, conçut les plus grandes espérances en jugeant que son redoutable adversaire se trouvait abandonné par ses maladroits compatriotes.

Sous le rapport de l’art, observons que la bataille de Cannes est le premier fait d’armes qui puisse nous faire juger des talens d’Annibal comme manœuvrier, et qu’il nous y donne une leçon de haute tactique.

Jusqu’à présent, nous avons vu des embuscades savamment préparées ; une cavalerie victorieuse sur une aile, tourner l’ennemi et venir l’attaquer par der-