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ils conçurent d’autres dispositions, et prirent le parti, toujours dangereux, de partager leurs forces, voulant combattre presque en même temps les trois chefs carthaginois.

Cnæus avait les Celtibères avec lui. Asdrubal, frère d’Annibal, qui connaissait ces peuples, les fit sonder, et paya leur neutralité si cher, qu’ils ne balancèrent pas à l’accepter. Leur défection décida du sort de la campagne. Cnæus, hors d’état de tenir devant un ennemi qu’il allait attaquer, fut contraint de demeurer sur la défensive, d’éviter les plaines, et d’employer toutes les ressources que fournit la science de la guerre, pour essayer de rejoindre son frère Publius.

Ce proconsul, resserré dans son camp par Magon et Asdrubal, fils de Giscon, n’était pas dans une situation beaucoup plus avantageuse. Si quelque détachement osait sortir pour se procurer des vivres et du fourrage, Massinissa le contraignait bientôt d’y rentrer. Publius eut avis qu’un corps de huit mille Espagnols allait joindre les carthaginois ; la supériorité que ce secours leur eût donnée, l’engagea de tenter un parti extrême.

Il pourvoit à la sûreté de son camp, marche pendant toute la nuit, et rencontre l’ennemi sur lequel il obtient d’abord un avantage ; mais ce mouvement ne peut échapper aux généraux carthaginois qui chargent brusquement le proconsul et l’enveloppent. Publius, dans cette circonstance périlleuse, faisait tout ce qu’on doit attendre d’un général qui unit la bravoure à l’expérience des batailles, lorsqu’il reçut un coup mortel. Ses troupes, n’étant plus soutenues par sa présence, perdirent courage, et furent poursuivies jusqu’à la nuit.

Publius défait et tué, les généraux carthaginois marchèrent, sans perdre un instant, contre Cnæus qui ne connaissait pas encore les malheurs de son frère, et ne pouvait concevoir comment il laissait aux ennemis la liberté de se réunir contre lui. Cnæus se conduisit avec tant d’habileté, qu’il tint un mois entier devant ses adversaires ; mais obligé de combattre le jour, de décamper la nuit, et de s’arrêter aux postes que le hasard lui offrait, sans pouvoir les choisir ou les reconnaître ; il fut enfin investi sur une éminence où il n’eut pas le temps de se retrancher. Les Carthaginois dispersèrent son armée, et lui-même fut tué dans l’action.

Les débris épars, de ces armées, naguères si formidables, erraient sans but et sans chef. Heureusement la sagesse des Scipion leur avait formé, dans un jeune chevalier nommé L. Marcius, un général capable de les ranimer. Il rassembla les fuyards, et fut assez heureux pour gagner le camp de Publius à la tête d’un corps assez considérable.

Ayant appris que Magon et Asdrubal, fils de Giscon, voulaient exterminer ce qui restait de Romains en Espagne, il résolut de combattre le dernier qui s’avançait vers lui, croyant le surprendre ; et fit part de sa résolution à ses soldats. Des cris de désespoir sur la mort des Scipion, furent d’abord la seule réponse qu’il put en obtenir.

Marcius exhorta ses troupes à venger leurs frères, et non à verser pour eux des larmes stériles. Il fit si bien, que les Carthaginois, qui avaient compté vaincre en se présentant, éprouvèrent un échec et se retirèrent.

Quelque temps après, Marcius fut informé, par ses espions, que les deux généraux faisaient observer peu de discipline dans leur camp. Ils avaient une si grande assurance, que les officiers de garde se contentaient d’envoyer leurs