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Ces mouvemens étaient terminés lorsqu’Annibal s’avança pour la charge. Ce général voyant toutes ses dispositions rendues inutiles, put compter encore sur la bravoure de ses troupes, de même force à peu près que celles des Romains, et toutes aussi résolues de vaincre ou de mourir.

On se battit avec une parfaite égalité de part et d’autre ; mais Lælius se montrait déjà sur les derrières avec sa cavalerie. Cet officier ne s’était pas amusé à poursuivre les fuyards, après qu’il les eut dispersés ; il communiqua un autre projeta Massinissa, et revint avec ce prince Numide pour décider la victoire.

L’armée d’Annibal ne put tenir contre ce nouvel ennemi qui la prit à dos et en flanc. Vingt mille hommes restèrent sur la place, et le nombre des prisonniers ne fut pas moindre. Les Romains n’eurent à regretter que deux mille des leurs.

Polybe partage ses éloges entre les deux généraux. Il trouve les dispositions d’Annibal très judicieuses, et attribue sa défaite à la discipline des Romains autant qu’à la conduite de leur général. Il est certain qu’on trouve dans le plan d’Annibal beaucoup d’art et de génie ; et que, malgré le désastre de sa cavalerie, et la lâcheté incroyable de ses compatriotes, Annibal eût encore remporté la victoire, si les troupes de Scipion n’avaient pas été assez rompues à la discipline militaire, pour abandonner les fuyards au premier rappel.

On commençait à imiter, dans les armées romaines, la savante tactique des Grecs ; mais Scipion donna le premier l’exemple de ces beaux déploiemens qui lui permirent de prendre successivement l’ordre profond et l’ordre étendu. Ce changement de dispositions au milieu même du combat, était bien fait pour déconcerter un adversaire qui n’avait pu prévoir ces manœuvres savantes, et firent, dans Rome, à Scipion, une réputation militaire, que n’éclipsa même pas César. On lui reproche cependant ici de n’avoir pas mis ses triaires en réserve dans son second ordre de bataille, et de s’être ainsi privé d’un appui, et même de toute retraite ; car il était au moins douteux qu’il soutînt, sans être entamé, l’effort qu’Annibal tentait avec ses vieilles troupes, pendant l’absence de Lælius et de Massinissa.

La bataille de Zama termina la seconde guerre punique, qui avait duré dix-huit ans, à dater du siége de Sagunte. La paix fut conclue, mais à des conditions honteuses pour Carthage. Elle livrait sa flotte, et payait un tribut aux Romains.

On brûla les navires dans le port, sans que le sénat ni le peuple proférassent une seule plainte ; et quand il fallut donner le tribut, le peuple se souleva, et les sénateurs remplirent la ville de leurs gémissemens. Annibal ne put contenir son indignation : « Vous avez supporté qu’on brûlât votre flotte, leur dit-il d’un ton sévère ; la honte publique ne vous a pas arraché un soupir, une larme ; et aujourd’hui vous pleurez sur votre argent ! »

Rentré à Carthage avec les débris de son armée, il s’y fit nommer Suffète ; et pour mettre sa patrie en état de recommencer la lutte, entreprit de reformer son gouvernement. Il abattit l’oligarchie du sénat ; étouffa les factions dont l’activité lui était devenue si funeste ; et, portant dans les dépenses publiques une main impitoyable, montra que, sans prélever de nouveaux impôts, on pouvait non seulement payer le tribut aux Romains, mais se préparer encore pour l’avenir de grandes ressources.