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beau que de commander les Romains.

Tels on voit Marius qui enchaîna Jugurtha, et détruisit les Cimbres ; Sylla, son heureux rival, allant porter au fond de l’Asie la terreur des armes romaines ; Pompée, plus illustre qu’eux tous par la diversité de ses victoires, et surtout pour avoir débarrassé Rome d’un ennemi comme Mithridate ; César enfin, dont la plus grande gloire aurait été de vaincre Pompée, si l’on pouvait compter les triomphes arrosés du sang de ses concitoyens.




CHAPITRE X.


Guerre contre Jugurtha. — Défaite des Cimbres et des Teutons. — Guerres de Mithridate. — Expédition de Crassus contre les Parthes.


Portons un instant nos regards sur ce souverain d’un peuple peu nombreux, plus qu’à demi barbare, que l’exemple des Carthaginois n’effraie pas, et qui ose encore braver Rome et sa puissance.

Le successeur de Massinissa venait de mourir, ayant partagé la Numidie entre ses deux fils et son neveu, déjà célèbre par ses talens militaires. On avait pu supposer qu’on allait enchaîner l’ambition par la reconnaissance ; mais ce n’était pas assez du tiers d’un royaume pour Jugurtha. Le plus jeune des deux princes tomba dans ses embûches ; l’autre fut battu, chassé de ses états, et contraint de chercher un asile sur les terres de Rome.

Jugurtha qui savait que cette république, sous le titre de médiatrice, réglait en souveraine les querelles des autres peuples, crut devoir lui envoyer des députés, afin de répondre aux accusations de son rival. Il leur enjoignit de ne point épargner l’or, d’acheter, à quelque prix que ce fût, tous ceux qui jouaient un rôle dans la république, et de graduer les présens, suivant la dignité et l’influence des personnes. On voit que Rome n’était déjà plus la patrie des Fabricius et des Cincinnatus.

Mais si l’on pouvait corrompre beaucoup de Romains, il n’y avait point de trésor suffisant pour acheter la république ; et Jugurtha, malgré tant de sagacité, ne vit pas qu’à mesure qu’il augmenterait ses prétentions, les Romains hausseraient le prix de leurs services ; que plus il donnerait, plus on lui demanderait ; enfin que dans un état en proie aux factions, si l’on en gagne une, on excite contre soi toutes les autres. Lorsque Jugurtha eut inutilement prodigué ses richesses, il fut contraint de recourir aux armes.

Il avait à Rome de nombreux partisans. Mais sa cause était tellement injuste, et l’on parlait si haut de la vénalité de ceux qui lui paraissaient favorables, qu’à peine ils osaient ouvertement le défendre. Ils s’efforcèrent toutefois de faire suspendre les résolutions que l’on prenait contre lui, et l’on nomma des commissaires déjà corrompus par l’or de Jugurtha, ou qui devaient en subir l’influence ; de sorte que ce prince s’empara de la Numidie entière, après sept années d’intrigues couronnées par l’assassinat de son rival.

La plupart des sénateurs, gagnés par les présens de Jugurtha, recevaient avec indifférence les plaintes formées contre lui ; mais l’assemblée du peuple poussait des cris de rage, et bien qu’une guerre avec ce prince africain présentât de grandes difficultés ; bien que Rome eût à craindre une invasion terrible du côté de la Gaule et de l’Illyrie, personne n’osa dire qu’il fût de l’intérêt de la république de ménager cet assassin couronné.