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Sur ces entrefaites, les Francs rangés en coin, suivant leur coutume, s’avançaient sous la conduite de Bucelin, et vinrent donner de la pointe, précisément dans la place que les Hérules devaient occuper. Toute la tête de cette masse triangulaire commençait même à se répandre derrière l’armée romaine, lorsque les Hérules arrivèrent. Alors Narsès, repliant ses deux ailes comme une tenaille, les enferma de toutes parts (an 553 de notre ère).

À la bataille de Lentagio, Narsès plaça sur chacun de ses flancs un corps de quatre mille archers ; sa gauche était de plus appuyée par une colline[1]. À la droite et à la gauche de la ligne se trouvait l’infanterie romaine armée de la pique et du bouclier, avec un corps de Huns, sur lequel Narsès comptait beaucoup. D’autres troupes, telles que celles des Lombards et des Hérules, remplissaient le centre.

Comme la droite des Romains était en l’air, Narsès y mit quatre cents chevaux qui furent repliés en potence ; et cinq cents, comme réserve, se postèrent pour appuyer ceux-ci. Il en restait mille qui filèrent derrière l’infanterie. Cette cavalerie était surtout composée d’archers, et par conséquent, peu propre à se commettre de front avec celle des Goths, armée pesamment, et qui se servait de la lance.

L’ordre de bataille de Totila était d’abord semblable ; mais, par réflexion, il le changea, et toute sa cavalerie parut en première ligne. Il y comptait plus que sur ses autres troupes, et crut que, chargeant avec impétuosité, elle enfoncerait aisément l’infanterie romaine qu’il voyait devant lui. Totila ne comprit point qu’en laissant son infanterie derrière, elle lui devenait inutile ; tandis qu’il pouvait l’employer avec avantage sur ses flancs, pour l’opposer aux deux corps d’archers.

Le général romain les avait mis sur le prolongement de son armée ; il fit arrondir leur front en forme de demi-lune, ce qui représentait deux tours qui flanquaient la ligne.

La cavalerie des Goths, n’ayant point fait attention à ce nouvel ordre, vint donner rapidement sur l’infanterie pesante. Avant de la joindre, elle perdit beaucoup d’hommes et de chevaux, par les traits qui la frappaient en flanc et en écharpe. La ligne bien serrée, couverte de boucliers, fut inébranlable, et la repoussa. Après d’inutiles efforts, les cavaliers se replièrent en désordre sur l’infanterie, et l’entraînèrent dans leur fuite. Totila périt avec plus de six mille des siens (an 553 de notre ère).

Ce Narsès avait plus de soixante ans lorsqu’il vint prendre le commandement de l’armée ; il détruisit entièrement le royaume des Goths. Narsès était petit de taille, malfait, mais d’un génie ferme, étendu, supérieur à tous les événement. L’Italie, en proie aux Barbares, ravagée depuis plus d’un siècle, commençait enfin à respirer. Il la gouvernait depuis treize ans avec autant de sagesse que de gloire, lorsqu’il se vit outragé par l’impératrice Sophie, femme de Justinien II.

On prétend que cette princesse, dans un moment de colère, lui ayant fait dire de quitter les armes et de venir filer avec ses femmes, Narsès, piqué de cette sanglante raillerie, lui répondit qu’il allait lui ourdir une trame dont elle ne verrait jamais le bout. Il tint parole, appela les Lombards en Italie, et l’on sait qu’ils s’y établirent.

  1. Voyez l’Atlas.