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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/398

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POLYBE, LIV. I.

entreprises hardies, et qui avaient appris dans la guerre de Sicile tantôt à reculer ; tantôt, faisant volte-face, à retourner à la charge et à faire cette manœuvre plusieurs fois en un même jour. Ces soldats, voyant que le général carthaginois s’était retiré dans la ville, et que les troupes, contentes de leur premier succès s’écartaient nonchalamment de leur camp, ils fondirent en rangs serrés sur le retranchement, firent main basse sur grand nombre de soldats, forcèrent les autres à fuir honteusement sous les murs et les portes de la ville, et s’emparèrent de tous les équipages, de tous les préparatifs, et de toutes les provisions que Hannon avait fait venir de Carthage. Ce ne fut pas la seule affaire où ce général fit paraître son incapacité. Peu de jours après il était auprès de Gorza ; les ennemis vinrent se camper proche de lui. L’occasion se présenta de les défaire deux fois en bataille rangée, et deux fois, par surprise, il la laissa échapper sans que l’on pût dire pourquoi.

Les Carthaginois se lassèrent enfin de ce maladroit officier, et mirent Amilcar à sa place. Ils lui firent une armée composée de soixante-dix éléphans, de tout ce que l’on avait amassé d’étrangers, des déserteurs des ennemis, de la cavalerie et de l’infanterie de la ville ; ce qui montait environ à dix mille hommes. Dès sa première action, il étourdit si fort les ennemis, que les armes leur tombèrent des mains, et qu’ils levèrent le siége d’Utique. Aussi cette action était-elle digne des premiers exploits de ce capitaine et de ce que sa patrie attendait de lui. En voici le détail.

Sur l’isthme qui joint Carthage à l’Afrique sont répandues çà et là des collines fort difficiles à franchir, et entre lesquelles on a pratiqué des chemins qui conduisent dans les terres. Quelque forts que fussent déjà tous ces passages par la disposition des collines, Mathos les faisait encore garder exactement ; outre que le Macar, fleuve profond, qui n’est guéable presque nulle part, et sur lequel il n’y a qu’un seul pont, ferme en certains endroits l’entrée de la campagne à ceux qui sortent de Carthage. Ce pont même était gardé et on y avait bâti un camp muré : de sorte que non-seulement une armée, mais même un homme seul pouvait à peine passer de la ville dans les terres sans être vu des ennemis. Amilcar, après avoir essayé tous les moyens de vaincre ces obstacles, s’avisa enfin d’un expédient. Ayant pris garde que lorsque certains vents viennent à s’élever, l’embouchure du Macar se remplit de sable, et qu’il s’y forme une espèce de banc, il dispose tout pour le départ de l’armée, sans rien dire de son dessein à personne. Ces vents soufflent ; il part la nuit, et se trouve au point du jour à l’autre côté du fleuve, sans avoir été aperçu, au grand étonnement et des ennemis et des assiégés. Il traverse ensuite la plaine, et marche droit à la garde du pont. Spendius vient au devant de lui, et, environ dix mille hommes du camp muré, situé auprès du pont, s’étant joints aux quinze mille qui faisaient le siége d’Utique, ces deux corps se disposent à se soutenir l’un l’autre. Les deux armées étant réunies, et croyant pouvoir envelopper l’ennemi, elles allèrent de suite à sa rencontre, s’encourageant l’une l’autre, et s’approchant de lui pour l’attaquer. Amilcar s’avance vers elle, ayant à la première ligne les éléphans, derrière eux la cavalerie avec les armés à la légère, et à la troisième ligne la phalange des pesamment armés. Mais les ennemis fondant avec