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POLYBE, LIV. III.

gagèrent que parce qu’avec le secours des troupes espagnoles, ils crurent avoir de quoi tenir tête aux Romains.

Quoique Amilcar soit mort dix ans avant que cette guerre commençât, il est cependant aisé de prouver qu’il en a été le principal auteur. Entre les raisons sans nombre dont on pourrait se servir pour cela, je n’en citerai qu’une, qui rendra la chose évidente. Après qu’Annibal eut été vaincu par les Romains, et qu’il fut sorti de sa patrie pour s’aller réfugier chez Antiochus, les Romains, sachant ce que méditaient contre eux les Étoliens, envoyèrent des ambassadeurs chez ce prince, dans le dessein de le sonder et de voir quelles pouvaient être ses vues. Les ambassadeurs, ayant découvert qu’il prêtait l’oreille aux propositions des Étoliens, et qu’il n’épiait que l’occasion de se déclarer contre les Romains, tâchèrent de lui rendre Annibal suspect, et pour cela lui firent assidûment leur cour. La chose réussit selon leurs souhaits. Antiochus continua à se défier d’Annibal, et ses soupçons ne firent qu’augmenter. Enfin l’occasion se présenta de s’éclairer l’un l’autre sur cette défiance. Annibal se défendit du mieux qu’il put ; mais voyant que ses raisons ne satisfaisaient pas Antiochus, il lui tint enfin ce discours : « Quand mon père se disposa à entrer en Espagne avec une armée, je n’avais alors que neuf ans ; j’étais auprès de l’autel pendant qu’il sacrifiait à Jupiter. Après les libations et autres cérémonies prescrites, Amilcar, ayant fait retirer tous les ministres du sacrifice, me fit approcher, et me demanda en me caressant si je n’aurais pas envie de le suivre à l’armée. Je répondis, avec cette vivacité qui convenait à mon âge, non-seulement que je ne demandais pas mieux, mais que je le priais instamment de me le permettre ; là-dessus il me prit la main, me conduisit à l’autel, et m’ordonna de jurer sur les victimes que jamais je ne serais ami des Romains. Jugez par là quelles sont mes dispositions. Quand il ne s’agira que de susciter des affaires aux Romains, vous pouvez compter sur moi comme sur un homme qui vous sera sincèrement dévoué : quand vous penserez à transiger et à faire la paix avec eux, n’attendez pas que l’on vous prévienne contre moi, mais méfiez-vous et tenez-vous sur vos gardes : je ferai certainement tout ce qui sera en moi pour traverser vos desseins. » Ce discours, qui paraissait être sincère et partir du cœur, dissipa tous les soupçons qu’Antiochus avait auparavant conçus sur la fidélité d’Annibal.

On conviendra que ce témoignage de la haine d’Amilcar et de tous les projets qu’il avait formés contre les Romains, est précis et sans réplique. Mais cette haine paraît encore plus dans ce qu’il fit ensuite, car il leur suscita deux ennemis, Asdrubal son gendre, et Annibal son fils, qui étaient tels, qu’après cela il ne pouvait rien faire de plus, pour montrer l’excès de la haine qu’il leur portait. Asdrubal mourut avant que de pouvoir mettre son dessein à exécution, mais Annibal trouva dans la suite l’occasion de se livrer avec éclat à l’inimitié que lui avait transmise son père contre les Romains. De là, ceux qui gouvernent doivent apprendre combien il leur importe de pénétrer les motifs qui portent les puissances à traiter de paix où à faire alliance avec eux. À moins que les circonstances ne soient impérieuses, on doit se tenir sur la réserve, et avoir toujours les yeux ouverts sur leurs démarches ; mais si leur soumission est sincère, on peut en disposer comme