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POLYBE, LIV. IV.

voyé par ordre de la république à Phigalée, ville du Péloponnèse sur les frontières des Messéniens, et dépendante de la république étolienne. Ce n’était, à ce que l’on disait, que pour garder la ville et le pays ; mais c’était en effet pour examiner et rapporter ce qui se passait dans le Péloponnèse. Pendant qu’il était là, il y arriva quantité de pirates, à qui ne pouvant d’abord permettre de butiner, parce que la paix ménagée entre les Grecs par Antigonus durait encore, il leur permit enfin d’enlever les troupeaux des Messéniens, quoique ceux‑ci fussent amis et alliés de la république. Ces pirates n’exercèrent d’abord leur pillage qu’aux extrémités de la province. Mais leur audace ne s’en tint point là ; ils entrèrent dans le pays, attaquèrent les maisons pendant la nuit, lorsqu’on s’y attendait le moins, et eurent la témérité de les forcer.

Les Messéniens trouvèrent ce procédé fort étrange, et envoyèrent en faire des plaintes à Dorimaque. Celui‑ci, qui était bien aise que ceux qu’il commandait s’enrichissent et l’enrichissent lui‑même, n’eut d’abord aucun égard aux plaintes des députés : il avait une trop grande part au butin. Le pillage continuant et les députés demandant avec chaleur qu’on leur fît justice, il dit qu’il viendrait lui‑même à Messène, et rendrait justice à ceux qui se plaignaient des Etoliens. Il y vint en effet ; mais quand ceux qui avaient été maltraités, se présentèrent devant lui, ils ne purent en tirer que des railleries, des insultes et des menaces. Une nuit même qu’il était encore à Messène, les pirates, s’approchant de la ville, escaladèrent la maison de campagne de Chiron, égorgèrent tous ceux qui firent résistance, chargèrent les autres de chaînes, firent sortir les bestiaux et emmenèrent tout ce qui s’en rencontra.

Jusque là, les éphores avaient souffert, quoique avec beaucoup de douleur, et le pillage des pirates et la présence de leur chef ; mais enfin, se croyant encore insultés, ils donnèrent ordre à Dorimaque de comparaître devant l’assemblée des magistrats. Sciron, homme de mérite et de considération, était alors éphore à Messène ; son avis fut de ne pas laisser Dorimaque sortir de la ville qu’il n’eût rendu tout ce qui avait été pris aux Messéniens, et qu’il n’eût livré à la vindicte publique les auteurs de tant de meurtres qui s’étaient commis. Tout le conseil trouvant cet avis fort juste, Dorimaque se mit en colère, et dit que l’on n’avait guère d’esprit si l’on s’imaginait insulter sa personne ; que ce n’était pas lui, mais la république des Étoliens que l’on insultait ; que c’était une chose indigne, qui allait attirer sur les Messéniens une tempête épouvantable, et qu’un tel attentat ne pourrait demeurer impuni.

Il y avait dans ce temps‑là à Messène certain personnage, nommé Babyrtas, homme tout à fait dans les intérêts de Dorimaque, et qui avait la voix et le reste du corps si semblables à lui, que s’il eût eu sa coiffure et ses vêtemens, on l’aurait pris pour lui‑même, et Dorimaque savait bien cela. Celui‑ci donc s’échauffant et traitant avec hauteur les Messéniens, Sciron ne put se contenir : « Tu crois donc, Babyrtas, lui dit‑il d’un ton de colère, que nous nous soucions fort de toi et de tes menaces ? » Ce mot ferma la bouche à Dorimaque, et l’obligea de permettre aux Messéniens de tirer vengeance des torts qu’on leur avait faits. Il s’en retourna en Étolie, mais si piqué du mot de Sciron, que, sans autre prétexte