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L’ordre échelonné sur les deux ailes tend à s’établir sur les flancs de la ligne ennemie ; mais il est moins dangereux que l’ordre perpendiculaire, en ce qu’il ne laisse pas le centre ennemi entièrement libre de manœuvrer. Cette disposition ressemble beaucoup à l’ordre concave quand il est formé par une ligne brisée, rentrant vers le centre.

Ainsi que l’ordre convexe, l’ordre échelonné sur le centre seulement, n’est pas sans danger, à moins que l’on attaque une ligne morcelée et trop étendue. Mais si la position est unie et serrée, les réserves se trouvant ordinairement à la portée du centre, et les ailes pouvant agir, soit par un feu concentrique, soit en prenant l’offensive, une armée qui ferait une pareille manœuvre renouvellerait la scène des Romains à Cannes, celle de la colonne anglaise à Fontenoy ; enfin, dit Jomini, la catastrophe plus récente de Waterloo.

Bien qu’il soit vrai de dire que l’armée française combattit à Mont-Saint-Jean sous un ordre semblable, ce n’est être exact que de ne pas tenir compte des accidens qui ont contrarié Napoléon dans cette disposition dont il connaissait mieux que personne le fort et le faible. L’explication savante que le général Jomini a bien voulu donner de cette bataille aux éditeurs de la Bibliothèque militaire, confirme certainement la justesse de cette observation.

L’ordre d’attaque en colonnes sur le centre et sur une extrémité en même temps, est moins chanceux que l’autre ; car l’aile qui déborde l’ennemi et le prend en flanc, pendant qu’il est menacé par les masses qui agissent vers son centre, doit le mettre dans une position désespérée. Telle fut la manœuvre de Napoléon à Wagram et à Ligny. Il voulut la tenter à Borodino ; mais elle ne lui réussit qu’imparfaitement, dit Jomini, à cause de l’héroïque défense des troupes de l’aile gauche des Russes, et de la division Paskewitsch dans la fameuse redoute du centre. Enfin, ajoute cet écrivain célèbre, l’empereur des Français l’employa aussi à Bautzen où il aurait obtenu des succès inouïs, sans un incident qui dérangea la manœuvre de sa gauche, destinée à couper la route de Wurschen.

Jomini fait judicieusement observer que ces différens ordres de bataille ne doivent point être pris au pied de la lettre, ainsi qu’on eût pu le faire au temps de Louis XIV ou de Frédéric II, alors que les armées campaient sous la tente, presque constamment réunies, et que l’on se trouvait plusieurs jours face à face avec l’ennemi. Aujourd’hui que les troupes bivouaquent ; que leur organisation en plusieurs corps les rend plus mobiles ; qu’elles s’abordent à la suite de dispositions prises hors du rayon visuel, et souvent même sans avoir eu le temps de se reconnaître mutuellement avec exactitude, tous les ordres de bataille dessinés au compas, comme des figures de géométrie, doivent se trouver en défaut.

Cependant, ajoute-t-il, un habile général peut aisément recourir à des formations approximatives, qui s’éloigneront peu de l’un ou l’autre des ordres de bataille indiqués. Dans les dispositions improvisées, il devra s’appliquer à saisir les rapports de la ligne ennemie avec les directions stratégiques décisives. Il jettera alors les deux tiers de ses forces sur ce point dont la possession serait pour lui le gage de la victoire, et fera servir l’autre tiers à contenir ou à observer l’ennemi. Agissant de cette manière, il aura rempli toutes les conditions que la science de la grande tactique peut imposer au plus habile capitaine ; il aura obtenu l’application la