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Lorsque les légions devinrent perpétuelles, on ne les laissait pas en temps de paix, perdre dans l’oisiveté la vigueur et l’habitude des travaux. Ces grands chemins, qui traversaient l’empire dans tous les sens, et dont quelques-uns allaient depuis les colonnes d’Hercule jusques aux bords du Tigre ; ces voies militaires, qui facilitaient le transport des convois, le passage des armées, et liaient toutes les parties de l’État par une correspondance facile, étaient l’ouvrage des légions.

Il subsiste encore en France plusieurs vestiges de ces monumens de la sagesse et de la puissance romaine. Nous rechercherons avec raison la suite de ces anciennes routes et leurs directions, puisqu’elles peuvent nous aider à fixer la géographie de la Gaule, et même éclaircir les premiers temps de notre histoire.

Une armée étant bien disciplinée et bien exercée, il s’agit encore de l’accoutumer à la vue d’un ennemi, quelquefois redoutable ; il faut l’aguerrir. Les généraux romains choisissaient de bons postes, et l’on fortifiait le camp avec beaucoup de soin, se ménageant au pied des retranchemens un champ de bataille aussi avantageux que possible. Lorsque l’armée commençait à concevoir bonne opinion de ses forces, on la rangeait sur le terrain choisi, et à mesure qu’elle montrait plus de confiance, on l’approchait de l’ennemi. Souvent elle ne savait qu’il fallait combattre qu’au moment où les trompettes sonnaient la charge, afin de prévenir l’inquiétude que l’idée d’une action prochaine produit ordinairement dans l’esprit du soldat.

Si les armées étaient battues par la faute des chefs, on appelait d’autres généraux à qui l’on accordait une grande autorité. À leur arrivée, ils retranchaient les équipages superflus, rétablissaient les anciens usages, et remettaient la discipline dans sa première vigueur.

D’abord, ils tenaient l’armée éloignée de l’ennemi pour quelque temps, et la fatiguaient à force de travaux et d’exercices. Quand ils supposaient que l’impression occasionée par la dernière défaite commençait à s’effacer, ils se rapprochaient de l’ennemi, s’appuyant toujours sur des postes avantageux. Plus on touchait au moment décisif, plus ils redoublaient la rigueur de la discipline, fatiguant le soldat, afin de l’aigrir, de l’impatienter même, et de lui faire désirer le combat, comme l’unique moyen de terminer ses maux.

Le second Scipion trouvant les légionnaires devant Numance, amollis par la négligence des généraux ses prédécesseurs, les accablait tous les jours par de longues marche. « Qu’ils se couvrent de boue, disait-il, puisqu’ils n’osent se couvrir de sang. » Scipion les obligeait à porter de pesans boucliers, leur provision de vivres pour un mois, sept pieux pour fortifier le camp, et répétait aux traîneurs : « Tu cesseras de porter ta palissade, quand ton épée saura te servir de défense. » Il changeait de camp tous les jours ; ordonnait de creuser des fossés profonds pour les combler ensuite ; élevait des murailles et les faisait abattre ; enfin, par ces continuels travaux, il mit ses troupes en état de vaincre.

Une armée qui peut donner ou refuser le combat quand elle le veut, a par cela seul un avantage infini, et c’est en quoi les armées grecques et romaines étaient admirables. Le peu d’équipages et de bouches inutiles qu’elles traînaient à leur suite, permettait de prévenir l’ennemi partout, de choisir le temps,