Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/681

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
673
POLYBE, LIV. VIII.

qu’il avait reçus, et Annibal était charmé de voir que l’occasion se fût enfin présentée de se rendre maître de Tarente. Philémène poussait encore l’affaire avec plus de chaleur, excité à cela, tant par la sûreté avec laquelle il pouvait parler à Annibal et par l’accueil que lui faisait ce général, que parce que la quantité de butin qu’il faisait entrer dans la ville le mettait hors de tout soupçon. En effet, il amenait assez de bestiaux et pour les sacrifices, et pour nourrir ses concitoyens ; non-seulement on le croyait de bonne foi, mais encore il excitait beaucoup de gens à l’imiter.

Étant sortis pour la seconde fois, et ayant agi tout-à-fait de la même manière, ils donnèrent des assurances à Annibal et en reçurent de lui. Les conditions du traité furent : qu’il mettrait les Tarentins en liberté ; qu’il n’exigerait d’eux aucun tribut ; qu’il ne leur imposerait aucune loi, et que, quand il serait entré dans la ville, le pillage des maisons qu’y possédaient les Romains, appartiendrait aux Carthaginois. Ils convinrent aussi avec Annibal d’un signal, pour être promptement reconnus par la garde de son camp quand ils y viendraient de la ville. Par ce moyen, ils avaient toute liberté de venir trouver Annibal aussi souvent qu’ils le voulaient, tantôt sous le prétexte de butiner, et tantôt pour aller à la chasse.

Après avoir pris ses mesures pour l’avenir, pendant que la plupart des conjurés épiaient l’occasion d’exécuter leur projet, on envoyait Philémène à la chasse : car, comme il avait une forte passion pour cet exercice, on s’imaginait qu’il n’y en avait point qu’il eût plus à cœur. C’est pour cela qu’il fut chargé de se concilier, en faisant des présens du produit de sa chasse, premièrement l’amitié de Caïus Livius qui commandait dans la ville, et ensuite celle des gardes de la porte appelée Témenide. Philémène s’étant acquis cette confiance, faisait entrer sans cesse du gibier dans la ville ; soit celui qu’il avait pris lui-même à la chasse, soit celui qui lui avait été préparé par Annibal ; il en donnait une partie au commandant ; il faisait part de l’autre aux gardes de la porte, afin qu’ils fussent toujours prêts à lui ouvrir le guichet : car il entrait et sortait, la plupart du temps, pendant la nuit, en apparence par la crainte des ennemis, mais, en effet, parce que ses projets le réclamaient ainsi.

Philémène ayant ainsi accoutumé les gardes à lui ouvrir le guichet sans délai, toutes les fois qu’approchant de la muraille pendant la nuit, il donnerait un coup de sifflet pour les avertir, les autres conjurés, qui avaient appris que Livius commandant pour les Romains dans la ville, devait donner certain jour un festin à de nombreux convives dans le musée près du forum, choisirent ce jour avec Annibal pour l’exécution de leur dessein. Avant ce temps-là ce général avait déjà feint une indisposition, afin que les Romains ne fussent pas surpris de le voir rester si long-temps dans le même endroit ; mais alors il s’était fait passer pour beaucoup plus gravement malade, et se tenait éloigné de Tarente de trois jours de marche.

Le temps de l’exécution étant venu, il choisit, tant cavaliers que fantassins, dix mille hommes des plus agiles et des plus braves, et leur ordonna de prendre des vivres pour quatre jours, et au point du jour il se mit en marche, donnant ordre à quatre-vingts cavaliers numides de marcher devant l’armée à environ trente stades, et de s’écarter à droite et à gauche du chemin, de peur

ii. 43