Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/684

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
676
POLYBE, LIV. VIII.

toutes choses qui furent d’abord exécutées.

Quand on sut dans la ville que les ennemis y étaient entrés, tout fut rempli de clameurs et de confusion. Livius en fut averti ; mais, sentant que le vin ne lui permettait pas d’agir, il sortit de sa maison avec ses domestiques, et, se faisant ouvrir le guichet de la porte qui conduit au port, il entra dans un des vaisseaux qui étaient à l’ancre, et, se rendit avec ses gens dans la citadelle. Après cela Philémène, qui avait disposé des trompettes romaines et des gens qui s’étaient accoutumés à en jouer, fit sonner de cet instrument de dessus le théâtre ; aussitôt les Romains courent en armes à la citadelle, et entrent par là dans les vues des Carthaginois ; car se répandant sans ordre dans les places, les uns tombèrent entre les mains des Carthaginois, les autres entre celles des Gaulois, qui en firent un carnage horrible.

Pendant ce temps-là, les Tarentins ne pouvant savoir au vrai ce qui se passait, restaient tranquilles chez eux. Comme ils n’entendaient que des trompettes romaines, et que dans la ville il ne se faisait ni désordre ni pillage, ils crurent que ce mouvement ne venait que des Romains. Mais quand le jour fut venu, et qu’ils virent leurs troupes tuées sur la place, et des Gaulois qui les dépouillaient, alors ils soupçonnèrent qu’il fallait que les Carthaginois fussent entrés.

Annibal ayant rangé ses troupes en bataille sur la place publique, après que les Romains se furent retirés dans la citadelle où ils tenaient garnison, et que le jour fut plus avancé, fit publier par un héraut, que les Tarentins eussent à s’assembler sans armes dans le forum. Aussitôt les conjurés coururent de côté et d’autre dans la ville, criant liberté, et exhortant les habitans à ne rien craindre sous la protection des Carthaginois. Ceux des citoyens qui étaient attachés aux Romains entendant ces cris, allèrent les joindre dans la citadelle ; mais le reste aima mieux obéir à l’ordre d’Annibal. Ce général leur parla avec beaucoup de douceur, et il ne dit rien qui ne fût reçu avec applaudissement : tant on était surpris d’une délivrance si extraordinaire ! Il congédia ensuite l’assemblée, enjoignant à chacun à son retour dans sa maison, d’écrire sur-le-champ sur la porte, Tarentin, et défendant sous peine de la vie, d’écrire le même mot sur la porte d’aucun Romain. Puis, distribuant dans différens quartiers ceux de ses soldats qu’il croyait les plus propres à ces sortes de coups de main ; il les envoya piller les maisons des Romains, qu’ils connaîtraient en ne voyant rien d’écrit sur les portes, et retint les autres en ordre de bataille pour secourir les premiers en cas d’alarme. Les Carthaginois firent dans ce pillage un butin prodigieux, et qui répondait pour le moins aux espérances qu’ils en avaient conçues.

Ils passèrent cette nuit sous les armes ; mais le lendemain, Annibal ayant tenu conseil avec les Tarentins, résolut d’élever une muraille entre la citadelle et la ville, afin que les citoyens n’eussent plus rien à appréhender de la part des Romains qui occupaient la citadelle. D’abord il commença par conduire un retranchement parallèle à la muraille et au fossé de cette forteresse ; mais se doutant bien d’un côté que les ennemis ne le souffriraient pas, et qu’au moins dans cette occasion ils mettraient en œuvre toutes leurs forces, et jugeant de l’autre que rien n’était plus nécessaire dans la conjoncture présente, que de donner de la terreur aux Romains et d’inspirer de la con-