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POLYBE, LIV. XII.

mis sont dignes d’entendre, mais à ce qu’il nous sied de leur dire ; car quand on ne suit alors que les mouvemens de la colère ou de la haine, les excès sont inévitables.

C’est la raison pour laquelle nous ferons bien de ne pas ajouter foi aux choses que Timée rapporte contre Démocharès. Il n’est en cette occasion ni excusable ni croyable. Son caractère médisant s’y fait trop sentir, et le jette trop visiblement au-delà des bornes de la bienséance. Je ne m’en fie pas plus à cet historien sur le chapitre d’Agathocles : je veux que ce tyran ait porté l’impiété jusqu’à son comble, mais Timée devait-il pour cela dire à la fin de son Histoire qu’Agathocles, dès sa plus tendre jeunesse, se prostituait au premier venu, et s’abandonnait aux plus honteux débauchés ; que c’était un geai, une buse qui se livrait à quelque infamie que l’on demandât de lui, et que quand il mourut, sa femme s’écriait en fondant en larmes : « Que ne vous ai-je pas ?… Que ne m’avez-vous pas ?… » Qui ne sent point ici cette passion de médire dont nous parlions tout à l’heure ; ou plutôt qui ne sera surpris de l’excès où cette passion a jeté cet historien ? Car les faits qu’il raconte lui-même d’Agathocles font connaître que la nature en avait fait un grand homme. Pour quitter la roue, la fumée et l’argile auxquels il était destiné par sa naissance, aller à l’âge de dix-huit ans à Syracuse, subjuguer la Sicile, menacer les Carthaginois d’une ruine entière, vieillir dans la puissance souveraine qu’il s’était acquise et mourir roi, ne fallait-il pas qu’il fût né un grand homme et qu’il eût des talens extraordinaires pour les grandes entreprises ? Timée devait donc raconter, non-seulement ce qui pouvait déshonorer et décrier Agathocles dans la postérité, mais encore ce qui était propre à lui faire honneur. C’est là ce qu’on attend de l’histoire. Mais Timée, aveuglé par l’humeur noire et mordante qui le domine, prend un plaisir malin à montrer les défauts et à les exagérer, au lieu qu’il ne fait nulle mention des beaux endroits ; cependant il devait savoir qu’un historien pèche autant à cacher ce qui s’est fait, qu’à dire ce qui ne s’est point fait. Pour moi, laissant de côté les excès dans lesquels sa mauvaise humeur l’a emporté, je n’ai fait usage que de ce qui m’a paru être de mon sujet. (Ibid.)


III.


Lois de Zaleucus.


Deux jeunes gens avaient ensemble un procès au sujet d’un esclave. L’un d’eux l’avait gardé long-temps chez lui ; l’autre, deux jours avant le procès, était venu dans une campagne l’enlever en l’absence du maître, et l’avait emmené de force dans sa maison. Le maître, averti de la chose, court à cette maison, se saisit de l’esclave, le conduit devant les magistrats, et dit qu’il en devait être le maître en donnant une caution, puisque la loi de Zaleucus portait que la chose contestée demeurerait en la possession de celui à qui on l’avait prise jusqu’à ce que le procès fût terminé. L’autre soutient par la même loi que l’esclave devait lui rester, puisqu’il en était possesseur au temps que l’on était venu le prendre, et que cet esclave avait été pris chez lui pour être conduit devant les juges. Ceux-ci ne sachant que décider mènent l’esclave au cosmopole et lui racontent le fait. Ce premier magistrat expliqua la loi en disant que quand Zaleucus avait statué que « la chose contestée demeurerait en la possession de celui à qui on l’avait prise, » il avait entendu