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POLYBE, LIV. XV.

quartiers de la ville ; les autres pendant le jour s’assemblaient par bandes, et s’ameutaient les uns les autres. Agathocles, mécontent de ce soulèvement et n’en concevant pas pour lui de grandes espérances, tantôt pensait à prendre la fuite et puis changeait de sentiment, parce qu’il avait eu l’imprudence de ne rien disposer pour l’exécution, et tantôt formait avec d’autres une conspiration pour aller sur-le-champ égorger une partie de ses ennemis, se saisir de l’autre, et ensuite usurper la tyrannie.

Sur ces entrefaites, le bruit court que Méragène, un de ses gardes, découvrait toutes choses à Tlépolème et s’entendait avec lui, à cause de la liaison qu’il avait avec Adée, gouverneur de Bybaste. D’abord Agathocles donne ordre à Nicostrate, son secrétaire, de s’assurer de Méragène, de l’interroger avec soin, et de le menacer même de la torture la plus rigoureuse. Nicostrate obéit sur-le-champ. Il mène l’espion dans l’appartement du palais le plus enfoncé ; là il interroge Méragène sur ce dont il s’agissait ; celui-ci n’avouant rien, on le dépouille. Pendant que les uns disposent les instrumens nécessaires à la torture, et que les autres, les verges à la main, lui ôtent ses habits, un exprès vient trouver Nicostraste, lui souffle je ne sais quoi à l’oreille, et aussitôt se retire. Nicostrate le suit sans rien dire, mais se frappant continuellement la cuisse. Il arriva ici à Méragène une chose fort singulière. On avait déjà presque levé les verges pour le battre, on préparait les instrumens de la torture sous ses yeux, et quand Nicostrate se fut retiré, les satellites restèrent là devant lui immobiles, se regardant l’un l’autre et attendant le retour de ce secrétaire. Comme il restait quelque temps à revenir, ils s’en allèrent tous, et laissèrent là Méragène, qui, nu comme il était, traversa heureusement le palais et entra dans une tente des Macédoniens qui se rencontra auprès. Ils étaient assemblés pour dîner. Il leur conte ce qui lui était arrivé et la façon surprenante dont il s’était sauvé. On ne pouvait d’abord le croire, mais comme on le voyait encore tout nu, on ne put s’en défendre. Méragène, délivré de ce danger, prie avec larmes les Macédoniens de prendre non-seulement sa défense, mais encore celle du roi et la leur propre ; ajoutant qu’il était évident qu’ils allaient tous périr s’ils ne saisissaient le moment où la haine de la multitude contre Agathocles était dans sa force, et où tout le monde était près de se soulever contre lui ; que ce moment était venu, et qu’il ne s’agissait plus que d’avoir quelqu’un qui entamât la chose. Les Macédoniens s’échauffent à ce discours et se laissent persuader. Ils passent ensuite dans les tentes des autres soldats, qui se touchent les unes les autres et sont toutes tournées du même côté de la ville.

Comme depuis long-temps on ne demandait qu’à se révolter, et qu’il ne fallait plus que quelqu’un pour pousser les autres et se mettre à leur tête, ce fut un feu qui éclata dans le moment où il commença à prendre. Il n’y avait pas encore quatre heures que l’on parlait de se soulever, lorsque tous les ordres de citoyens, militaires et civils, se trouvèrent réunis dans le même sentiment. Un accident vint alors tout à propos pour favoriser l’entreprise. On remit une lettre à Agathocles, et on lui amena des espions. La lettre était de Tlépolème, qui mandait qu’il joindrait incessamment l’armée, et les espions annonçaient qu’il en était déjà proche. Cette nouvelle le mit tellement hors de lui-même, que toute affaire, tout conseil cessant, il s’en alla prendre son