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POLYBE, LIV. XVIII.

lence du choc lui serait également inutile et son épée ne ferait nul effet. J’ai donc eu raison de dire que la phalange, tant qu’elle se conserve dans son état propre et naturel, est invincible de front, et que nul autre ordonnance n’en peut soutenir l’effort. D’où vient donc que les Romains sont victorieux ? Pourquoi la phalange est-elle vaincue ? C’est que dans la guerre le temps et le lien des combats se varient en une infinité de manières, et que la phalange n’est propre que dans un temps et d’une seule façon. Quand il s’agit d’une action décisive, si l’ennemi est forcé d’avoir affaire à la phalange dans un temps et dans un terrain qui lui soient convenables, nous l’avons déjà dit, il y a toute sorte d’apparence que partout l’avantage sera du côté de la phalange. Mais si l’on peut éviter l’un et l’autre, comme il est aisé de le faire, qu’y a-t-il de si redoutable dans cette ordonnance ? Que pour tirer parti d’une phalange, il soit nécessaire de lui trouver un terrain plat, découvert, uni, sans fossés, sans fondrières, sans gorges, sans éminences, sans rivières, c’est une chose avouée de tout le monde. D’un autre côté l’on ne disconvient pas qu’il est impossible ou du moins très-rare de rencontrer un terrain de vingt stades ou plus, qui n’offre quelqu’un de ces obstacles. Quel usage ferez-vous de votre phalange, si votre ennemi, au lieu de venir à vous dans ce terrain favorable, se répand dans le pays, ravage les villes et fait du dégât dans les terres de vos alliés ? Ce corps restant dans le poste qui lui est avantageux, non-seulement ne sera d’aucun secours à vos amis, mais il ne pourra se conserver lui-même. L’ennemi, maître de la campagne, sans trouver, personne qui lui résiste, lui enlèvera ses convois, de quelque endroit qu’ils lui viennent. S’il quitte son poste pour entreprendre quelque chose, ses forces lui manquent et il devient le jouet des ennemis. Accordons encore qu’on ira l’attaquer sur son terrain ; mais si l’ennemi ne présente pas à la phalange toute son armée en même temps, et qu’au moment du combat il l’évite en se retirant, qu’arrivera-t-il de votre ordonnance ?

Il est facile d’en juger par la manœuvre que font aujourd’hui les Romains, car nous ne nous fondons pas ici sur de simples raisonnemens, mais sur des faits qui sont encore tout récens. Les Romains n’emploient pas toutes leurs troupes pour faire un front égal à celui de la phalange, mais ils en mettent une partie en réserve et n’opposent que l’autre aux ennemis. Alors, soit que la phalange rompe la ligne qu’elle a en tête, ou qu’elle soit elle-même enfoncée, elle sort de la disposition qui lui est propre. Qu’elle poursuive des fuyards ou qu’elle fuie devant ceux qui la pressent, elle perd toute sa force ; car, dans l’un ou l’autre cas, il se fait des intervalles que la réserve saisit pour attaquer, non de front, mais en flanc et par les derrières. En général, puisqu’il est facile d’éviter le moment et toutes les autres circonstances qui donnent l’avantage à la phalange, et qu’il ne lui est pas possible d’éviter toutes celles qui lui sont contraires, n’en est-ce pas assez pour nous faire concevoir combien cette ordonnance est au-dessous de celle des Romains.

Ajoutons que ceux qui rangent une armée en phalange se trouvent dans le cas de marcher par toutes sortes d’endroits, de camper, de s’emparer des postes, avantageux, d’assiéger, d’être assiégés, de tomber sur la marche des ennemis lorsqu’ils ne s’y attendent pas, car tous ces accidens font partie d’une guerre ; souvent la victoire en dépend,