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POLYBE, LIV. XXVII.

en excepte les ruses dont il fit usage à l’égard de Pelus. (Excerpta Valesiana.) Schweigh. (Vertus et Vices.) Dom Thuillier.


VII.


La nouvelle du combat de cavalerie s’étant répandue dans la Grèce après la victoire des Macédoniens, les dispositions bienveillantes que son cœur éprouvait pour Persée se manifestèrent tout à coup comme un feu long-temps caché. Voici, ce me semble, quelles étaient ces dispositions : on eût dit à peu près ce qui arrive aux jeux publics. Là, en effet, lorsqu’en face d’un athlète illustre, et que l’on regarde comme invincible, se présente un antagoniste humble et de beaucoup inférieur, la foule lui donne aussitôt sa bienveillance ; elle l’encourage, et lui aide pour ainsi dire de ses efforts. Mais s’il a touché l’autre au visage, s’il lui a fait un semblant de blessure, sur-le-champ les avis se trouvent partagés pour les chances du combat. On raille l’athlète frappé, non par aversion ou par mépris, mais par une sympathie subite et inattendue, par l’effet de cette bienveillance naturelle qu’on a pour le moins fort. Que quelqu’un en fasse un reproche à propos, cette foule change vite, et se repent de sa méprise.

C’est ce que fit, dit-on, Clitomaque. C’était un athlète sans égal, et dont la gloire s’était répandue par tout l’univers. Le roi Ptolémée, jaloux de flétrir cette réputation, fit exercer, avec un soin particulier, le pugile Aristonicus, dont la vigueur lui parut capable de répondre à ce qu’il se proposait. Celui-ci arrive aux jeux Olympiques, et présente le combat à Clitomaque. Beaucoup de gens regardaient favorablement Aristonicus, et trouvaient beau qu’on osât lutter contre un Clitomaque. Le combat s’engage ; Aristonicus saisit le temps et blesse son adversaire : un tonnerre d’applaudissemens s’élève, chacun manifeste son approbation et sa faveur pour Aristonicus. C’est alors que Clitomaque, dit-on, s’étant un peu écarté, et ayant repris haleine, se tourna vers l’assemblée, et demanda : « Que voulez-vous faire, en encourageant Aristonicus, en vous déclarant ses champions autant que vous le pouvez ? Ne trouvez-vous pas en moi un athlète accomplissant les devoirs de sa profession ? ou plutôt ignorez-vous qu’en ce moment Clitomaque combat pour la gloire de la Grèce et Aristonicus pour celle du roi Ptolémée ? Lequel préférez-vous, qu’un Égyptien remporte la couronne olympique sur des Grecs, ou plutôt qu’un Thébain, un Béotien soit proclamé vainqueur au pugilat sur des Égyptiens ? » Après ces paroles de Clitomaque, il s’opéra dans les esprits une telle métamorphose, qu’Aristonicus fut vaincu plutôt par le changement de l’assemblée que par le bras de Clitomaque.

Voilà donc à peu près ce qui avait lieu parmi les peuples à l’égard de Persée. Si on leur eût demandé sérieusement s’ils voulaient abandonner à un seul homme une monarchie qui lui donnait un pouvoir si étendu, nul doute qu’ils n’eussent de suite changé d’avis, et ne se fussent jetés dans des désirs contraires ; que si on leur eût rappelé en peu de mots tous les malheurs causés à la Grèce par la maison de Macédoine, tous les avantages apportés par les Romains, je pense qu’ils auraient bien vite abandonné leur première détermination. Toutefois l’événement était si imprévu, que l’opinion générale avait manifesté de suite une singulière faveur pour l’adversaire qui osait se placer en face des Romains. Ne doit-on pas faire

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