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Après la bataille de la Trebbia, Annibal prit ses quartiers d’hiver dans la Gaule Cisalpine. Là, les Gaulois lui ayant fourni autant de soldats qu’il en désirait, il répara les pertes de son armée. Mais ces peuples étaient fatigués de voir leur pays servir si long-temps de théâtre à la guerre. Annibal résolut donc de se porter en Étrurie, et à l’entrée du printemps il se mit en marche.

Deux chemins y conduisaient : l’un passant par Bologne et Modène, se présentait plus commode ; mais il était gardé par Flaminius, qui, posté vers Arezzo, au débouché des deux routes, pouvait l’arrêter à chaque pas, s’il ne parvenait même à l’enfermer dans les montagnes, entre son armée et celle de Servilius qu’on attendait à Rimini avec deux légions. L’autre chemin, traversant Parme et Pontremoli, devenait plus court, mais il offrait des difficultés d’une autre nature, à cause de certains marais qu’on ne pouvait éviter, et que les Romains regardaient comme impraticables. Toutefois, Annibal apprend que ces marais ont un fond solide, et dès lors son choix ne devient plus douteux. Mais il eut beaucoup à souffrir pendant cette marche dangereuse.

Il avait formé son avant-garde des troupes espagnols et africaines, le bagage étant entremêlé, afin qu’on ne manquât de rien durant la route. Les Gaulois auxiliaires défilaient en formant le corps de bataille ; et Magon, placé à l’arrière-garde avec la cavalerie, avait ordre de faire serrer l’armée, et principalement les Gaulois.

Les Africains et les Espagnols, vieux soldats, habitués aux fatigues de la guerre, passèrent sans beaucoup de peine ; mais les Gaulois auxiliaires, enrôlés depuis peu de temps, et qui trouvaient un chemin foulé par l’avant-garde, glissaient à chaque pas, et s’enfonçaient dans la boue. Il en périt un grand nombre qui ne put supporter une marche aussi pénible, pendant quatre jours et trois nuits. Annibal lui-même y perdit un œil, à la suite d’une ophtalmie qu’il n’eut pas le temps de soigner.

Parvenu enfin dans un pays abondant, sa position n’en fut pas beaucoup meilleure. Le consul Servilius venait au secours de son collègue, et il fallait prévenir leur jonction. À la vérité, le général carthaginois connaissait le caractère vif et impétueux de Flaminius, et comptait bien l’entraîner dans quelque faute. Il s’efforça de le provoquer par des bravades, dévasta les campagnes en sa présence, fit semblant d’exposer ses troupes, et osa même avancer dans le pays, en laissant les Romains sur ses derrières.

Il se trouvait ainsi dans un vallon spacieux, que deux chaînes de montagnes bordaient sur toute sa longueur[1], et dans lequel on pénétrait par un défilé que resserrait d’un côté les montagnes, et de l’autre le lac de Thrasymène. Mais Annibal s’est déjà emparé d’un poste avantageux d’où il est certain de châtier le consul, s’il a l’imprudence de le suivre.

Flaminius campe, vers le soir, sur les bords du lac. Le lendemain il s’avance à la hâte, croyant ne pas arriver assez tôt. Quand il traversa le défilé, le jour paraissait à peine. Il mit son armée sur une seule colonne, par cohortes, disposition dangereuse, qu’on ne suivait que quand on était loin de l’ennemi. Du reste n’ayant fait aucune reconnaissance, l’obscurité de la nuit ne lui permit pas de distinguer l’embuscade qu’il laissait sur son flanc gauche et derrière lui.

  1. Voyez l’Atlas.