Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 5, 1844.djvu/523

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plication, un homme commandera fort bien dix années de temps dans une place sans mieux la connaître que le premier jour. Ce qui est ici reproché aux gouverneurs se doit appliquer aussi aux lieutenâns de roi et majors, qui sont pour l’ordinaire les second et troisième commandans de la place.

Plus loin, M. de Vauban s’exprime de la manière suivante

« Entre ceux qui défendent mal les places, on pourrait mettre les officiers-généraux et commandans particuliers qu’on y envoie dans l’attente d’un siège, pour suppléer au défaut des gouverneurs du savoir-faire desquels on se défie. Ceux-ci n’ont peut-être jamais vu la place dont il s’agit que cette fois-là ; comme ils ne la peuvent pas connaître en si peu de temps, ils sont sujets à commettre de terribles fautes, ce qui ne leur qu’arrive que trop souvent. D’ailleurs, le gouverneur, qui est toujours fâché de ce qu’on lui donne un maître, ne s’ouvre à lui que le moins qu’il peut il ne lui donne pas grande connaissance de ce qu’il pense, et tout cela concourt à la perte des places, de la défense desquelles l’un et l’autre s’acquittent fort mal. Après quoi, et lorsqu’ils sont dehors, on les voit se déchaîner contre elles, les décrier et leur imputer des défauts qu’elles n’ont point et que la plupart ne connaissent pas. Faible moyen pour excuser leur ignorance, pour ne pas dire leur lâcheté !

» Il serait à souhaiter que les gouvernemens des places ne fussent donnés qu’à des officiers dont la capacité dans la fortification et le service de l’infanterie serait entièrement connue ; elles se défendraient tout autrement qu’elles ne le font aujourd’hui, où les meilleures et les plus exactement fortifiées ne font guère plus de défense que les médiocres. Quand Menin, l’une des bonnes places du royaume, s’est rendue, je me suis laissé dire qu’il y avait encore deux demi-lunes à prendre, les descentes du fossé à faire, un flanc de la place qui, n’ayant pour imposer que l’inondation, ne pouvait être battu ; ce flanc défendait le bastion le plus endommagé de l’attaque. Celui de la droite ne l’était que très peu plus de réflexion et de connaissance de la fortification aurait fait valoir ces deux demi-lunes, toutes deux fort bonnes et très bien revêtues, et nous aurait épargné la honte d’avoir perdu une aussi bonne place en si peu de temps. Il faudrait exiger des gouverneurs, pour empêcher des exemples de cette nature, un projet de défense, après qu’ils auraient fait un an ou deux de séjour dans leurs places ; ce projet servirait à faire connaître leur capacité dans la défense. La nécessité de le dresser et d’en rendre compte eux-mêmes les mettrait au moins dans l’obligation de donner quelque application à leur métier et d’étudier la fortification. Si, après plusieurs projets de défense, on ne leur apercevait aucune capacité, aucune connaissance de la bonté de leur place, et de la défense que peut faire chaque ouvrage en particulier, il faudrait les priver de leurs emplois. On sait assez le bien qui résulterait d’une pareille chose, sans qu’il soit nécessaire de l’expliquer.

On voit, par ces réflexions du maréchal de Vauban, qu’il attribue, et sans doute avec raison, la mauvaise défense des places à l’ignorance des commandans plutôt qu’au manque de courage. En effet, un commandant qui a vu