Page:Lissagaray - Alfred de Musset devant la jeunesse, Cournol, 1864.djvu/25

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gétation morale, par la douleur, la faiblesse, et cette espèce de folie qui nous pousse irrésistiblement à déchirer nous-mêmes nos entrailles, on est à plaindre plutôt qu’à fuir. Un accident heureux peut quelquefois, par un trouble fécond, remettre l’ordre dans cet être désorganisé. Mais lorsque ce n’est pas le malheur de la vie, mais bien la paresse, la vanité, la débauche qui ont introduit le nihilisme dans une âme, il n’y a plus alors de remède, car le démon de la vanité veille toujours sur ses conquêtes, il ne les laisse jamais échapper.

M. de Musset commença par sacrifier à la vanité. Avec une grande présomption de sa valeur personnelle, il ne voulut ressembler à personne, à personne du moins de ceux qui rapprochaient : il prit Hugo en haine. Mais il accueillit l’étranger, Göthe et Byron. Il trouva dans le Werther du premier le sentiment confus qui l’agitait lui-même, il ne sut comprendre dans le Manfred du second que l’idée du néant qui plut à sa paresse, et lui permettait en lui évitant la peine de chercher, de se donner un air hautain et méprisant en face des vérités qu’il ne pouvait comprendre parce qu’il ne voulait pas les étudier. La débauche ne lui en laissait pas le temps. Il couvrit de son manteau le mépris des hommes et des choses. (Murmures sur plusieurs bancs. C’est vrai, c’est vrai, sur un grand nombre.) Il n’eut même pas l’orgueil de finir comme il avait commencé, car l’orgueil est un sentiment noble et il ne sacrifia jamais qu’à la plus mesquine vanité. Il se faisait souvent quelques fissures dans ce ciel orageux à travers lesquelles il apercevait les éclairs. Ses yeux aveuglés s’ouvraient un instant. On marchait autour de lui. Il prenait alors de son sang, de sa vie, et dans ses convulsions les jetait à cette lumière lointaine qui ne devait pas s’éteindre pour perpétuer toujours son désespoir.

Quand on manque d’idées ou plutôt qu’on n’en a qu’une seule, quelque talent qu’on mette à essayer de la rajeunir, de la rajuster, c’est elle, elle seule qui revient incessamment. Tous les personnages de M. de Musset reproduisent invaria-