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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

de la Commune. Pour la première fois, des femmes honnêtement vêtues sont assises sur les banquettes de la cour. Trois orchestres jouent dans les galeries. Le cœur de la fête est à la salle des Maréchaux. À cette place où, dix mois auparavant, trônaient Bonaparte et sa bande. Mlle  Agar déclame les Châtiments, l’Idole, malgré les journaux versaillais qui l’insultent. Mozart, Meyerbeer, les grandes œuvres de l’art ont chassé les obscénités musicales de l’Empire. Par la grande fenêtre du centre, l’harmonie tombe dans le jardin. Les lanternes, les lampions joyeux constellent le gazon, dansent aux arbres, colorent les jets d’eau. Le peuple rit dans les massifs. Les Champs-Elysées, tout noirs, semblent protester contre ces maîtres populaires qu’ils n’ont jamais reconnus. Versailles aussi proteste par ses fusées d’obus éclairant d’un blafard reflet l’Arc de Triomphe qui voûte sa masse sombre sur la grande guerre civile. À onze heures, nous entendons un bruit du côté de la chapelle : M. Schœlcher vient d’être arrêté. Il a quitté un moment Versailles pour voir les fêtes de ce Paris qu’il aide à livrer à Versailles. On l’emmène à la préfecture où Raoul Rigault lui rend la liberté en se moquant de lui.

Les boulevards s’encombrent de la foule qui sort des théâtres. Au café Peters, — (l’Américain) — affluence scandaleuse de filles et d’officiers d’état-major aux bottes molles à retroussis rouges, aux sabres vierges. Un détachement de gardes nationaux arrive et les enlève. Nous suivons jusqu’à l’Hôtel-de-Ville, où Ranvier, qui est de permanence, les reçoit. Le procès n’est pas long : les filles à St-Lazare, les officiers aux tranchées avec des pelles et des pioches.

Une heure du matin. Paris dort de son souffle régulier. Voilà, mon ami, le Paris des brigands. Vous l’avez vu penser, pleurer, combattre, travailler ; enthousiaste, fraternel, sévère au vice. Ses rues, libres pendant le jour, sont-elles moins sûres dans le silence de la nuit ? Depuis que Paris fait lui-même sa police, les crimes ont diminué[1]. Où voyez-vous la débauche

  1. Claude, chef de la Sûreté sous l’Empire. Enquête sur le 18 Mars.