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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

était, méprisant sa vie comme celle des autres. Il sortit les mains libres au milieu du groupe qui se dirigea vers le Père-Lachaise. Chemin faisant, Jecker parla de cette expédition du Mexique qui le tuait : « Ah ! je n’ai pas, dit-il, fait une bonne affaire ; ces gens-là m’ont volé ; » ce qu’il répétait depuis son arrestation. Arrivé au mur qui regarde Charonne, on lui dit : « Est-ce là ? — Si vous voulez ! » Il mourut tranquillement. On mit sur sa figure son chapeau et un papier à son nom.

Il n’y a pas de grands mouvements de troupes pendant cette journée. Les corps Douai et Clinchant bordent le boulevard Richard-Lenoir. La double barricade en arrière de Bataclan arrête l’invasion du boulevard Voltaire. Un général versaillais est tué dans la rue Saint-Sébastien. La place du Trône se défend encore par les barricades Philippe-Auguste. La Rotonde et le bassin de la Villette tiennent aussi. Vers la fin du jour, l’incendie gagne la partie des docks la plus rapprochée de la mairie.

Le soir, l’armée presse la résistance entre les fortifications et une ligne courbe qui, des abattoirs de la Villette, aboutit à la porte de Vincennes en passant par le canal Saint-Martin, le boulevard Richard-Lenoir et la rue du faubourg Saint-Antoine. Ladmirault et Vinoy aux deux extrémités, Douai et Clinchant au centre.

La nuit du vendredi est fiévreuse dans Ménilmontant et Belleville tourmentés par les obus. Les services qui subsistent ont quitté la cité Vincennes ensanglantée et Jourde a mis en lieu sûr le peu d’argent qui reste pour parer à la solde. Les fédérés vivent depuis quatre jours sur les cinq cent mille francs de la Banque, les résidus de caisse et quelques employés fidèles, comme un des octrois, qui vint à travers les balles porter sa recette du jour. Au détour de chaque rue, les sentinelles exigent le mot d’ordre (Bouchotte-Belleville) ; souvent il ne suffit pas. Il faut justifier d’une mission, et chaque chef de barricade se croit le droit de refuser le passage.

Les débris des bataillons arrivent en tumulte ; la plupart, ne trouvant plus d’asile, campent en plein air,