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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

sèrent un grand cri : « Oh ! les misérables ! ils nous font boire le sang des nôtres ! » Depuis la veille, les prisonniers blessés venaient là laver leurs plaies. La soif nous torturait si cruellement que quelques-unes se rincèrent la bouche avec cette eau sanguinolente.

« La baraque étant pleine, on nous fit coucher à terre par groupes de deux cents environ. Un officier vint et nous dit : « Viles créatures, écoutez l’ordre que je donne : — Gendarmes, à la première qui bouge, tirez sur ces putains. »

« À dix heures, des détonations voisines nous firent sauter. « Couchez-vous, misérables ! » crièrent nos gendarmes qui nous mirent en joue. On fusillait à deux pas quelques prisonniers. Nous crûmes que les balles nous traversaient la tête. Les fusilleurs vinrent relever nos gardiens. Nous restâmes, toute la nuit, gardées par ces hommes échauffés de carnage. Ils grommelaient à celles qui se tordaient de terreur et de froid : « Ne t’impatiente pas, ton tour va venir. » Au petit jour, nous vîmes les morts. Les gendarmes se disaient entre eux : « J’espère qu’en voilà une vendange ! »

Un soir, les prisonniers entendirent un bruit de pioches dans le mur du sud. Les fusillades, les menaces les avaient affolés : ils attendaient la mort de tous les côtés, sous toutes les formes ; ils crurent que cette fois on allait les faire sauter. Des trous s’ouvrirent et des mitrailleuses apparurent [1].

Le vendredi soir, un orage de plusieurs heures éclata sur le camp. Les prisonniers furent contraints, sous peine d’être mitraillés, de s’étendre toute la nuit dans la boue. Une vingtaine moururent de froid.

Le camp de Satory devint l’excursion favorite de la bonne compagnie versaillaise. Le capitaine Aubry en faisait les honneurs aux dames, aux députés, aux gens de lettres comme Dumas fils en quête d’études sociales, leur montrait ses sujets grouillant dans la boue, rongeant quelques biscuits, prenant des lampées à la mare où les gardiens ne se gênaient pas pour faire leurs ordures. Quelques-uns, devenant fous, se cassaient la

  1. Appendice XLI.