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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

fauves »[1]. Un jour, à la Ferté-Bernard, des cris partent d’un wagon. Le chef de l’escorte arrête le convoi ; les sergents de ville déchargent leurs revolvers à travers les bâches ; le silence se fait… et les cercueils roulants repartent à toute vapeur.

Du moins de juin au mois de septembre, Versailles jeta 28 000 prisonniers dans les rades, les forts, et les îles de l’Océan depuis Cherbourg jusqu’à la Gironde. Vingt-cinq pontons en prirent près de 20 000, les forts et les îles 7 837.

Il y a sur les pontons des tortures réglementaires. Les traditions de Juin 48 et de Décembre 51 furent religieusement suivies en 71. Les prisonniers, parqués dans des cages faites de madriers et de barreaux de fer, disposées à droite et à gauche des batteries, ne recevaient un filet de lumière que des sabords cloués. Nulle ventilation. Dès les premières heures, l’infection fut intolérable. Les sentinelles se promenaient dans le couloir central, avec ordre de tirer à la moindre plainte. Des canons chargés à mitraille enfilaient les batteries. Ni hamacs, ni couvertures. Pour toute nourriture, du biscuit, du pain et des haricots. Pas de vin, pas de tabac. Les habitants de Brest et de Cherbourg ayant apporté des provisions et quelques douceurs, les officiers les renvoyèrent.

Cette cruauté se relâcha quelque peu dans la suite. Les prisonniers reçurent un hamac pour deux, quelques chemises, quelques vareuses, du vin de loin en loin. Ils purent se laver, venir sur le pont respirer un peu. Les matelots montrèrent quelque humanité ; les fusiliers marins furent toujours les carnassiers des journées de Mai et souvent l’équipage dut leur arracher les prisonniers.

Le régime des pontons variait suivant l’humanité des officiers. À Brest, le commandant en second de la Ville de Lyon défendait qu’on insultât les détenus, tandis que

  1. Ces détails sont extraits de notes très nombreuses fournies par les prisonniers et par des personnes entièrement étrangères à la Commune : conseillers municipaux des ports de mer, journalistes étrangers, etc. Voir la relation d’Elisée Reclus, Appendice XLVI.