Page:Lissagaray - Histoire de la Commune de 1871, MS.djvu/463

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
449
HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

située à la pointe Chaleix. Les avisos de la rade pouvaient couvrir de fer la presqu’île et le bagne.

La presqu’île, étroite langue de terre fermée à la gorge par des soldats, sans eau vive, sans verdure, est sillonnée de petites collines arides entrecoupées de deux vallées, Numbo et Tendu, se terminant vers la mer en marécages où croissent de chétifs palétuviers et de rares niaoulis. Jamais colon ne voulut perdre une heure sur cette terre morte. Les déportés, bien qu’attendus depuis des mois, ne trouvèrent que des huttes en paille ; pour mobilier quelques bidons, gamelles et un hamac.

L’île des Pins, plateau au centre désolé, était bordée de terres fertiles, mais depuis longtemps accaparées par les pères maristes qui exploitaient le travail des indigènes. Là, non plus, rien n’était préparé pour recevoir les déportés. Les premiers arrivés errèrent dans la brousse. Très tard, on leur donna des tentes que les orages fréquents mirent en lambeaux. Les moins malheureux purent, avec leur argent, se construire des paillotes. Les indigènes fuyaient, excités par les missionnaires, ou vendaient des vivres à des prix insensés.

L’administration devait fournir à tous les condamnés les vêtements indispensables ; aucune prescription réglementaire ne fut suivie. Les képis et les chaussures s’usèrent bien vite. L’immense majorité des déportés n’ayant aucune ressource subirent, tête et pieds nus, le soleil et la saison des pluies. Ni tabac, ni savon, ni vin, ni eau-de-vie pour couper l’eau saumâtre. Comme nourriture, des légumes souvent refusés par la commission sanitaire du bagne, du lard et du biscuit ; très rarement un peu de viande et de pain. Les vivres étaient crus et on n’allouait au déporté ni combustible ni substance grasse ; la préparation des vivres devenait un problème journalier.

Pour gardiens, ceux du bagne, les chaousses — violents — agressifs, souvent ivres et menaçant les déportés de leur revolver. Ils en blessèrent plusieurs. À l’île des Pins, comme à la presqu’île Ducos, des sentinelles placées sur le territoire militaire avaient ordre de faire feu sur les déportés qui s’approchaient à cinquante pas.

Jeunes pour la plupart, actifs et laborieux, avec l’ap-