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chés, les jardins labourés. Dans cette place immense et déserte, la main invisible de la mort s’abattit sur chaque pavé.

Derrière la barricade de l’entrée du boulevard Voltaire, les gardes nationaux recevaient vaillamment l’avalanche des obus et des balles, du boulevard Magenta, du boulevard Saint-Martin, de la rue Turbigo. Que de gens sont appelés héros, qui n’ont jamais montré la centième partie de ce courage ignoré, sans témoin, qui surgit pendant ces journées en mille endroits de Paris ! Car toutes les valeurs de convention disparaissent à la barricade ; là chacun ne pèse que ce qu’il vaut. L’homme énergique, prévoyant, de sang-froid, celui-là devient le chef, quelque soit son grade, et les combattants savent bien vite se grouper autour de lui. Là le courage est tout individuel ; il n’est pas fiévreux, soutenu par le contact comme dans les batailles où l’on s’élance en masse ; à dix on se défend contre mille. Beaucoup des barricades de Mai eurent des épisodes merveilleux. A celle du Château-d’Eau, une jeune fille de dix-neuf ans, habillée en fusilier marin, rose et charmante, avec ses cheveux noirs bouclés, se battit avec acharnement pendant toute une journée. A plusieurs reprises, elle revint