Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/152

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passé parmi nous comme un fantôme consacré de tout ce que la Pologne récèle de poésie, — prenons garde de manquer de révérence à sa mémoire. Ne lui tressons pas des guirlandes de fleurs artificielles ! Ne lui jetons pas des couronnes faciles et légères ! Elevons nos sentimens en face de ce cercueil !

Nous tous qui, par la grâce de Dieu, avons le suprême honneur d’être artistes, interprètes choisis par la nature elle-même du Beau éternel ; nous tous qui le sommes devenus, par droit de conquéte aussi bien que par droit de naissance, soit que notre main assouplisse le marbre ou le bronze, soit qu’elle manie un pinceau irradiant ou le noir burin qui grave lentement ses lignes pour la postérité, soit qu’elle court sur le clavier ou saisisse la baguette qui le soir commande aux fougueuses phalanges d’un orchestre, soit qu’elle tienne le compas de l’architecte emprunté à Uranie ou la plume de Melpomène trempée dans le sang, le rouleau de Polhymnie que mouillent les larmes ou la lyre de Clio accordée par la vérité et la justice, apprenons de celui que nous venons de perdre, à repousser tout ce qui ne tient pas à l’élite des ambitions de l’Art ; à concentrer nos soucis sur les efforts qui tracent un sillon plus profond que la vogue du jour ! Renonçons aussi pour nous-mêmes, aux tristes temps de futilité et de corruption artistique où nous vivons, à tout ce qui n’est pas digne de l’art, à tout ce qui ne renferme pas des conditions de durée, à tout ce qui ne contient pas en soi quelque