Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/160

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Heine croyait savoir, à un cheveu près, tout ce qu’avait souffert et tout ce qu’avait éprouvé le « pauvre Van der Deken », dans sa terrible et incessante course à travers l’Océan qui avait enfoncé ses grilles dans l’incorruptible bois de son vaisseau, le tenant enraciné à son sol mouvant par une ancre invisible dont l’audacieux marin ne pouvait jamais trouver la chaîne pour la briser. Quand le satirique poète le voulait bien, il nous racontait les douleurs, les espérances, les désespoirs, les tortures, les abattemens des infortunés peuplant ce malheureux navire, car il était monté sur ses planches maudites, guidé et ramené par la main de quelque ondine amoureuse qui, les jours où l’hôte de sa forêt de corail et de son palais de nacre se levait plus morose, plus amer, plus mordant encore que de coutume, lui offrait entre deux repas, pour égayer son spleen, quelque spectacle digne de cet amant qui savait rêver plus de prodiges que son royaume n’en renfermait.

Sur cette impérissable carène, Heine et Chopin parcouraient ensemble les pôles où l’aurore boréale, brillante visiteuse de leurs longues nuits, mire sa large écharpe dans les gigantesques stalactites des glaces éternelles ; les tropiques où le triangle zodiacal remplace de sa lumière ineffable, durant leurs courtes obscurités, les flammes calcinantes qu’y distille un soleil douloureux. Us traversaient dans une course rapide, et les latitudes où la vie est opprimée et celles où elle est