Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/167

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noms de ces limbes du passé dans lequel flottent tant d’indécises images, d’indécises sympathies, de projets incertains, d’incertaines croyances ; dans lequel chacun de nous pourrait revoir le profil de quelque sentiment né inviable ! Hélas ! De tant d’intérêts, de tendances et de désirs, d’affections et de passions, qui ont rempli une époque durant laquelle ont été fortuitement rassemblées quelques hautes âmes et lumineuses intelligences, combien en est-il qui aient possédé un principe de vitalité suffisante pour les faire survivre à toutes les causes de mort qui entourent à son berceau chaque idée, chaque sentiment, comme chaque individu ?… Combien en est-il dont, à quelque instant de leur existence, plus ou moins courte, on n’ait pas dit ce mot d’une tristesse suprême : Heureux s’il était mort ! Plus heureux s’il n’était pas né ! De tant de sentimens qui ont fait battre si fort de nobles cœurs, combien en est-il qui n’aient jamais encouru cette malédiction suprême ? Il n’en est peut-être pas un seul qui, s’il était rallumé de sa cendre et sorti de son tombeau, comme l’amant suicidé qui dans le poëme de Mickiewicz revient au jour des morts pour revivre sa vie et ressouffrir ses douleurs, pourrait apparaître sans les meurtrissures, les stigmates, les mutilations, qui défigurèrent sa primitive beauté et souillèrent sa candeur ?

D’entre ces lugubres revenans, combien s’en trouveraient-il en qui cette beauté et cette candeur aient eu