Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/213

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auprès de lui. Avec ou sans lettre de recommandation il était reçu à bras ouverts, comme s’il eût été de la famille. Il permettait à des personnes souvent inconnues quand elles venaient de son pays, ce qu’il n’accordait à aucun d’entre nous : le droit de déranger ses habitudes. Il se gênait pour elles, il les promenait, il retournait vingt fois de suite aux mêmes lieux pour leur faire voir les curiosités de Paris, sans jamais témoigner d’ennui à ce métier de cicerone et de badaud. Puis, il donnait à diner à ces chers compatriotes, dont la veille il avait ignoré l’existence ; il leur évitait toutes les menues-dépenses, il leur prêtait de l’argent. Mieux que cela ; on voyait qu’il était heureux de le faire, qu’il éprouvait un vrai bonheur à parler sa langue, à se trouver avec les siens, à se retrouver par eux dans l’atmosphère de sa patrie qu’il lui semblait encore respirer à côté d’eux. On voyait combien il se plaisait à écouter leurs tristes récits, à distraire leurs douleurs, à détourner leurs sanglans souvenirs, en consolant leurs suprêmes regrets par les infinies promesses d’une espérance éloquemment chantée.

Chopin écrivait régulièrement aux siens, mais seulement à eux. Une de ses bizarreries consistait à s’abstenir de tout échange de lettres, de tout envoi de billets ; on eût pu croire qu’il avait fait vœu de n’en jamais adresser à des étrangers. C’était chose curieuse de le voir recourir à tous les expédiens pour échapper à la nécessité de tracer quelques lignes. Maintes fois