Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/218

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objets qui lui appartenaient, que dans ses manières distinguées. Il avait la coquetterie des appartenons ;

faire succéder à des espèces de récitatifs et de thrénodies improvisées, lorsque les sujets qui les occupent sont sérieux et mélancoliques, un petit parler gras et zézayant comme celui desenfans. Est ce pour garder et manifester les privilèges de leur suzeraineté féminine, au moment même où elles ont condescendu à être graves comme des sénateurs, de bon conseil comme le ministre d’un règne précédent et sage, profondes comme un vieux théologien, subtiles comme un metaphysicien allemand ? Mais, pour peu que la polonaise soit en veine de gaieté, en train de laisser luire les feux de ses charmes, de laisser s’exhaler les parfums de son esprit, comme la fleur qui penche son calice sous le chaud rayon d’un soleil de printemps pour répandre dans les airs ses senteurs, on dirait son âme que tout mortel voudrait aspirer et imboire comme une bouffée de félictié arrivée des régions du paradis… elle ne semble plus se donner la peine d’articuler ses mots, comme les humbles habitans de cette vallée de larmes. Elle se met à rossignoler ; les phrases deviennent des roulades qui montent aux plus haut de la gamme d’un soprano enchanteur, ou bien les périodes se balancent en trilles qu’on dirait le tremblement d’une goutte de rosée ; triomphes cliurmans, hésitations plus charmantes encore, entre-coupées de petits rires perlés, de petits cris interjectifs ! Puis viennent de petits points d’orgues dans les notes sublimes du régistre de la voix, lesquels descendent rapidement par on ne sait quelle succession chromatique de demiIons et quarts de ton , pour s’arrêter sur une note grave et poursuivre des modulations infinies, brusques, originales, qui dépaysent l’oreille inaccoutumée à ce gentil ramage, qu’une légère teinte d’ironie revêt par momens d’un faux-air de moquerie narquoise particulier au chant de certains oiseaux. Comme les vénitiennes, les polonaises aiment à zimiluler et, des diastémes piquans, des azophies imprévues, des ■nuances charmantes, se trouvent tout naturellement mêlés à cette caquelerie mignonne qui fait tomber les paroles de leurs lèvres, tantôt comme une poignée de perles qui s’éparpillent et résonnent sur une vasque d’argent, tantôt comme des étincelles qu’elles regardent curieusement briller et s’éteindre, à moins que l’une d’elles n’aille s’ensevelir dans un cœur qu’elle peut dévorer et dessécher s’il ne possède point le secret de la réaction ; qu’elle peut allumer comme une haute flamme d’héroisme et de gloire, comme un phare bienfaisant dans les tempêtes