Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/289

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une âme aussi belle et un génie aussi noble, s’ils sont assez infortunés pour rencontrer, comme lui, un bonheur qui leur enseigne à maudire la vie, une admiration qui leur enseigne le mépris de l’admirable, un amour capable de leur enseigner la haine de l’amour !..

Quelque borné qu’ail été le nombre de jours que la faiblesse de sa constitution physique réservait à Chopin, ils auraient pu n’être point abrégés par les tristes souffrances qui les terminèrent. Ame tendre et ardente à la fois, pleine de délicatesses patriciennes, plus que cela, féminines et pudiques, il avait en lui des répugnances invincibles que la passion lui faisait surmonter, mais qui refoulées, se vengeaient en déchirant les fibres vives de son âme comme des épines de fer rouge. Il se fût contenté de ne vivre (pie parmi les radieux fantômes de sa jeunesse qu’il savait si éloquemment invoquer, parmi les navrantes douleurs de sa patrie auxquelles il donnait un noble asile dans sa poitrine. Il fut une victime de plus, une noble et illustre victime, de ces attraits momentanés de deux natures opposées dans leurs tendances qui, en se rencontrant à l’improviste, éprouvent une surprise charmée qu’elles prennent pour un sentiment durable, élevant à ses proportions des illusions et des promesses qu’elles ne sauraient réaliser.

Au sortir d’un pareil rêve à deux, terminé en cauchemar affreux, c’est toujours la nature plus profondément impressionée qui demeure brisée ouexsanguée ; celle qui fut la plus absolue dans ses espérances et son attachement.