Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/56

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jour, son coloris, son cadre pittoresque. Seuls ils reflètent, en même temps que le rituel des coutumes qui se perdent, l’esprit qui les avait créées.

Chopin était venu trop tard et avait quitté ses foyers trop tôt pour posséder cette exclusivité de point de-vue ; mais, il en avait connu de nombreux exemples et, à travers les souvenirs de son enfance, non moins sans doute qu’à travers l’histoire et la poésie de sa patrie, il a si bien trouvé par induction le secret de ses anciens prestiges, qu’il a pu les faire sortir de leur oubli et les douer dans ses chants d’une éternelle jeunesse. Aussi, comme chaque poëte est mieux compris, mieux apprécié par les voyageurs auxquels il est arrivé de parcourir les lieux qui l’ont inspiré en y cherchant la trace de leurs visions ; comme Pindare et Ossian sont plus intimement pénétrés par ceux qui ont visité les vestiges du Parthénon éclairés des radiances de leur limpide atmosphère, les sites d’Ecosse gazés de brouillards, de même le sentiment inspirateur de Chopin ne se révèle tout entier que lorsqu’on a été dans son pays, qu’on y a vu l’ombre laissée par les siècles écoulés, qu’on a suivi ses contours grandissans comme ceux du soir, qu’on y a rencontré son fantôme de gloire, ce revenant inquiet qui hante son patrimoine ! Il apparaît pour effrayer ou attrister les cœurs alors qu’on s’y attend le moins et, en surgissant aux récits et aux remémorations des anciens temps, il porte avec lui une épouvante semblable à celle que répand parmi les paysans