Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/161

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hommes, mais elle n’éclaire point les autres ; et cette génération qui s’est élevée aux plus lumineuses conceptions de l’intelligence, reste néanmoins plongée dans les épaisses ténèbres de l’ignorance du cœur. Pareille à un médecin qui croirait sauver un malade en refoulant à l’intérieur des humeurs pestilentielles, la société se flatte de guérir une plaie profonde par des palliatifs qui n’atteignent qu’à la superficie. Ceux qui tiennent en leurs mains le sort des nations oublient trop que la résignation ne saurait être longtemps la vertu des masses, et que quand le peuple a gémi longtemps, on l’entend rugir tout à coup.

Que fera l’art, que feront les artistes en ces jours mauvais ? Les peintres exposeront des tableaux, les musiciens donneront des concerts au bénéfice des pauvres. Sans doute ils feront bien d’agir ainsi, ne fût-ce que pour témoigner d’un vouloir toujours présent de servir la cause du prolétaire. Mais sera-ce à ce bien partiel, incomplet, que devra se borner leur action sympathique ? Assez longtemps on les a vus courtisans et parasites dans les palais ; assez longtemps ils ont célébré les amours des grands et les plaisirs des riches ; l’heure est venue pour eux de relever le courage du faible et de calmer les souffrances de l’opprimé. Il faut que l’art rappelle au peuple les beaux dévouements, les héroïques résolutions, la fortitude, l’humanité de ses pareils ; il faut que la providence de Dieu lui soit de nouveau annoncée ; il faut que l’aube d’un jour