Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/281

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frère, est excellent musicien comme il est peintre incomparable. Mozart, Haydn, Beethoven lui parlent la même langue que Phidias et que Raphaël. Il s’empare du beau partout où il le rencontre, et son culte passionné semble grandir encore le génie auquel il s’adresse. Un jour que je n’oublierai pas, nous visitâmes ensemble les salles du Vatican ; nous traversâmes ces longues galeries l’Étrurie, la Grèce, la Rome antique, et l’Italie chrétienne sont représentées par d’innombrables monuments. Nous passions avec respect devant ces marbres jaunis et ces peintures à demi effacées. Il marchait en parlant ; nous l’écoutions comme des disciples avides. Sa parole de flamme donnait une nouvelle vie à tous ces chefs d’œuvre ; son éloquence nous transportait dans les siècles passés ; la ligne et la couleur s’animaient sous nos yeux ; la forme altérée par le temps et par la main des profanateurs renaissait dans sa pureté première, et se montrait à nous dans sa jeune beauté. Tout un mystère de poésie s’accomplissait ; c’était le génie moderne évoquant le génie antique. Puis le soir, lorsque nous rentrâmes, après nous être assis sous les chênes verts de la villa Médicis, après avoir causé longtemps cœur à cœur de toutes ces grandes merveilles, je l’entraînai à mon tour vers le piano ouvert, et lui faisant doucement violence : « Allons maître, lui dis-je, n’oublions pas notre chère musique ; le violon vous attend ; la sonate en la mineur s’ennuie sur le pupitre, commençons. »