Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/43

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qu’enfin on lui ait fait l’insigne faveur de l’admettre au Conservatoire. Le voilà donc renfermé dans une mansarde du quatrième ou cinquième étage, piochant (c’est le terme technique) du matin au soir, usant son âme et son corps à tapoter, à souffler ou à racler son instrument, recevant trois quarts d’heure de leçon par semaine, dînant à vingt sous ; du reste, ne sachant pas bien au juste (même par rapport à son art) ce qu’il fait, ce qu’il doit faire, ni pourquoi ceci, ni pourquoi cela ; n’ayant pas, la plupart du temps, les moyens de voir et d’entendre les artistes supérieurs, demeurant d’ailleurs sans communication et sans lien réel avec eux, et ne trouvant partout au dehors qu’indifférence, obstacle, déception, et au dedans de lui qu’amertume, incertitude et fatigue…

Après deux, trois ou quatre ans, quand son petit pécule sera dépensé, quand le meilleur de son cœur aura dépéri, et que ses passions se seront stérilisées ou égarées, un beau matin son professeur lui dira « qu’il n’a plus rien à apprendre, qu’il est homme fait, artiste achevé… » Dérision !…

Et alors, que fera-t-il ? Que deviendra-t-il ?… Se produira-t-il en public ? Exécutera-t-il un air varié dans un entr’acte de la Gaîté ou dans un petit concert borgne ?… Mais à quoi cela lui profitera-t-il ? Mais où et comment cela[1] ?… Le seul parti qui lui

  1. La multitude d’obstacles qui s’opposent à l’organisation matérielle d’un concert, et la misère des recettes ordinaires, font que la plupart des artistes renoncent à l’entreprise (note de Liszt).