Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/52

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À cette heure, rien n’est donc plus usé, plus trivial, que de glorifier en phrases creuses et sonores la prétendue souveraineté de l’art, aussi vraie et aussi mensongère que la prétendue souveraineté du peuple. Il semble vraiment que depuis le temps qu’on daigne les encourager, les protéger, et que sais-je encore, les artistes ne devraient plus avoir autre chose à faire qu’à bénir, qu’à exalter béatement dans un Te Deum sempiternel les incommensurables faveurs qui leur sont échues en partage, — et sans doute que les exagérés qui se permettent imprudemment d’espérer et surtout de demander au-delà, sont gens bien étrangement insatiables !…

    fort remarquable au développement des doctrines de Lamennais dans leur rapport avec les arts. « Il existe, dit-il, des esprits ardents, tourmentés du besoin d’aimer quelque chose et d’y croire ; pour ceux-là, l’art est un culte. Il faut prendre ici l’art dans son acception la plus vaste, à savoir toute manifestation de la pensée humaine, toute expression de l’homme sous quelque forme qu’elle se présente. Ces esprits dont il est question ont foi en l’art, foi individuelle, foi qui manque de logique, de base rationnelle, mais foi sincère d’instinct, d’enthousiasme, foi presque involontaire, qui est la première condition à laquelle se révèle le génie. Pour ce qui est du reste des intelligences, l’art est encore ce qui réveille les sympathies les plus générales. Qui sait s’il ne contribuera pas puissamment à ramener aux croyances ? Si, lassés de leur isolement et de leurs systèmes, les hommes trouvant dans l’art une tente pacifique, ouverte à toutes ces intelligences fatiguées ou désenchantées d’elles-mêmes, ne viendront pas se réunir dans son sein ?… Si, commençant à rentrer par lui dans une société véritable, qu’ils sentiront le besoin d’agrandir et d’élever, ils ne redemanderont pas enfin à la religion, qui seule possède le lien social suprême, un nouveau germe d’union d’où sortira l’arbre de vie, à l’ombre duquel l’humanité doit un jour se reposer ?… » (Note de Liszt).