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IV PRÉFACE

la clef des choses subséquentes ; et, finalement, un néologisme qui, mal conduit, altère, bien conduit, développe la langue, et qui, lui aussi, sera un jour de l'archaïsme et que l'on consultera comme histoire et phase du langage.

Chez nous, l'usage contemporain, pris dans un sens étendu, enferme le temps qui s'est écoulé depuis l'origine de la période classique jusqu'à nos jours ; c'est-à-dire que, commençant à Malherbe, il compte aujourd'hui plus de deux cents ans de durée. Cet intervalle est rempli par une foule d'écrivains de tout genre, dont les uns font autorité et dont les autres, sans jouir de la même renommée et du même crédit, méritent pourtant d'être consultés. Cela forme un vaste ensemble dans lequel les plus anciens touchent à l'archaïsme et les plus récents au néologisme. Dans le plan que je me suis fait d'un dictionnaire, les uns et les autres ne peuvent manquer d'entrer en ligne de compte et d'occuper une place très importante. Leur présence, à l'aide d'exemples empruntés à leurs ouvrages, constate les emplois, autorise les locutions, agrandit les significations, et est l'appui le plus sûr de celui qui prétend associer la lexicographie à la critique.

Ainsi, selon la manière de voir qui m'a guidé, un dictionnaire doit être, ou, si l'on veut, ce dictionnaire est un enregistrement très étendu des usages de la langue, enregistrement qui, avec le présent, embrasse le passé, partout où le passé jette quelque lumière sur le présent quant aux mots, à leurs significations, à leur emploi. Je me suis arrêté à ces limites et n'ai point inscrit les mots de la vieille langue tombés en désuétude ; c'est l'objet d'un autre travail, tout différent du mien, et qu'il importe de recommander vivement à l'érudition. Mais, même en de telles limites, l'enregistrement n'est pas complet, car il faudrait avoir tout lu la plume à la main, et je n'ai pas tout lu ; il faudrait n'être pas le premier dans ce travail, et je suis le premier qui en ait réuni et rapproché les matériaux, et surtout qui ait tenté de les faire servir d'une façon systématique et générale à l'étude de la langue.

Deux ouvrages seulement sont entrés simultanément avec le mien dans la voie où je suis entré: le Dictionnaire de M. Dochez et celui auquel travaille l'Académie française. M. Dochez, qui, privé par une mort prématurée de la satisfaction souvent refusée à un long labeur, n'a pas vu la publication de son livre, a, comme moi, recueilli un choix d'exemples classiques et d'exemples antérieurs à l'âge classique ; mais c'est le seul point où nous concourions. L'usage que nous faisons de ces deux catégories d'exemples est tout à fait différent : il met les exemples classiques à la suite les uns des autres, moi je les distribue suivant les significations ; quant aux exemples antérieurs, il n'en use ni pour l'étymologie, ni pour la grammaire, ni pour la classification des sens. Semblablement, je dirai, en parlant du dictionnaire historique préparé par l'Académie française, que le plan qu'elle suit et le mien ne se ressemblent aucunement. D'ailleurs l'illustre compagnie n'a encore publié qu'un fascicule comprenant seulement les premiers mots de la lettre A. Ces tentatives montrent qu'un