Page:Littré - Dictionnaire, 1873, T1, A-B.djvu/23

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
PRÉFACE. XVII

de leur trouver un compartiment convenable à la nature du mot et à l’intention de l’auteur.

D’autres fois les exemples offrent des combinaisons que les dictionnaires n’ont pas. Entre beaucoup on peut citer celui-ci : cherchez dans le Dictionnaire de l’Académie à date la locution sans date, vous y trouverez lettre sans date ; et en effet il ne doit pas y avoir autre chose tant qu’on ne fait pas intervenir les exemples. Mais ouvrez les Harmonies de M. de Lamartine, et vous rencontrerez :

Ce furent ces forêts, ces ténèbres, cette onde
Et ces arbres sans date et ces rocs immortels....

et dès lors vous inscrivez à sa place sans date avec le sens d’ immémorial, du moins dans la poésie.

Il arrive que les passages cités ainsi donnent une explication précise ou élégante, ou contiennent quelque détail curieux, quelque renseignement historique. Bien que j’aie tourné mon attention sur ce motif de choisir les exemples, cependant le genre d’utilité qui en résulte ne m’a frappé qu’assez tardivement. Aussi maints passages utiles m’ont échappé sans doute ; mais, arrivé au terme d’un si long labeur, il a fallu me contenter de ce que j’avais amassé depuis près de vingt ans.

Comme les plus anciens de nos auteurs classiques touchent au seizième siècle et que même, à vrai dire, il n’y a qu’une limite fictive entre les deux époques, les exemples qu’on leur emprunte donnent plus d’une fois la main à ceux de l’âge précédent inscrits à leur place chronologique. De la sorte la transition apparaît telle qu’elle fut entre la langue parlée et écrite de la fin du seizième siècle et celle du commencement du dix-septième.

Pour citations, les plus anciens exemples doivent être préférés aux nouveaux. En effet l’objet de ces citations est de compléter l’ensemble de la langue et la connaissance des significations, connaissance qui n’est donnée que par les origines. Plus on remonte haut, plus on a chance de trouver le sens premier, et, par lui, l’enchaînement des significations. Les textes modernes ont leur tour ; car ils témoignent de l’état présent de la langue ; mais ils sont réservés pour indiquer ce qui leur est propre, c’est-à-dire les nouvelles acceptions, les nouvelles combinaisons, en un mot les nouvelles faces des mots. Ils sont les autorités de l’usage nouveau, comme les autres sont les autorités de l’usage ancien.

Enfin, indépendamment de ces avantages, les exemples ne sont pas sans quelque attrait par eux-mêmes. De beaux vers de Corneille ou de Racine, des morceaux du grand style de Bossuet, d’élégantes phrases de Massillon plaisent à rencontrer ; ce sont sans doute des lambeaux, mais, pour me servir de l’expression d’Horace, si justement applicable ici, ce sont des lambeaux de pourpre.


DICT. DE LA LANGUE FRANÇAISE. c